Jusqu’alors réservé aux forces de l’ordre, le port d’arme est depuis le 1er janvier 2018, autorisé sous certaines conditions aux agents de sécurité privée. Découvrez le témoignage de deux experts dont les avis divergent. La loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, ouvre le droit à l’armement des agents de sécurité privée. Très attendu par la profession, le décret d’application publié au Journal Officiel le 31 décembre 2017 a précisé les conditions d’exercice des missions de surveillance armée ainsi que celles de la conservation des armes et de la formation des agents. En résumé, le port d’arme pourra être autorisé dans trois cas de figure : Les agents de protection rapprochée pourront utiliser des armes de type B et D (revolvers, armes de poings, matraques, etc.) lorsqu’ils “assurent la protection d’une personne exposée à des risques exceptionnels d’atteinte à sa vie”. Pour exercer leur activité, ils devront disposer d’une carte professionnelle spéciale délivrée par le CNAPS ainsi que d’une autorisation du Ministère de l’Intérieur. Les “agents de surveillance rapprochée” – bien que ce terme n’existe pas à proprement parler, de manière réglementaire – pourront également être armés (armes B et D) lorsqu’ils exercent une mission de surveillance les exposant à un risque exceptionnel d’atteinte à leur propre vie ou à celles des occupants du lieu surveillé. Ils devront aussi disposer d’une carte professionnelle spéciale délivrée par le CNAPS ainsi que d’une autorisation préfectorale. Enfin, les agents de sécurité privée pourront, dans certaines conditions et sous autorisation préfectorale, utiliser des armes non létales de type matraques et générateurs d’aérosols. L’autorisation du port d’arme par les agents privés constitue une petite révolution puisque jusqu’ici en France, il avait toujours été réservé aux forces de l’ordre. C’est pourquoi, à peine mise en application, cette nouvelle disposition divise. Certains se félicitent de voir les forces privées reconnues comme complémentaires des forces publiques et de leur donner les moyens d’assurer au mieux leur rôle de protection de la société civile. Tandis que d’autres s’inquiètent des dérives possibles du fait d’armer des personnes qui ne sont pas des représentants de l’Etat. Pour en débattre, nous vous proposons un face à face entre deux experts qui portent une vision différente de cette loi. D’un côté, Thibault de Montbrial, avocat au barreau de Paris, membre du Conseil scientifique de l’Ecole de Guerre et Président du Centre de Reflexion sur la Sécurité Intérieure (CRSI). De l’autre, un fonctionnaire de police, souhaitant rester anonyme, responsable d’une brigade anticriminalité en région parisienne sur une zone sensible. Nous les remercions de leur concours à ce débat et de leurs avis éclairés. POUR – une avancée nécessaire pour assurer un continuum public-privé “Le décret du 29 décembre 2017 signe une avancée significative du rôle des acteurs de la sécurité privée. L’autorisation du port d’arme, dans les conditions exceptionnelles évoquées, répond au besoin d’adapter les outils sécuritaires de notre pays face au terrorisme. Il faut s’en féliciter. Le recours à des agents de sécurité armés obéit à la logique implacable selon laquelle plus rapide est la riposte par le feu à une attaque terroriste, moins il y a de victimes. Aussi, l’agent de sécurité armé pré-positionné devant un établissement recevant du public (ERP) est destiné au rôle de primo-intervenant, avant les patrouilles dynamiques aléatoires de la police et de l’opération Sentinelle. En réalité, les rôles respectifs de la sécurité privée et des forces régaliennes se complètent, ce qui établit le fameux « continuum public-privé » de sécurité désormais indispensable. Les forces régaliennes seront ainsi en partie soulagées des missions de protection des ERP et des 1 171 sites SEVESO. Si elles peuvent intervenir en renfort de la sécurité privée armée désormais permanente qui y sera déployée, ces mêmes forces régaliennes pourront se consacrer entre-temps à d’autres missions. Le fantasme de dizaines de milliers d’agents privés armés sous-qualifiés peut être écarté : les quelques 2 000 personnels (sur 170 000) concernés par cette disposition feront l’objet d’une formation poussée ainsi que d’une sélection stricte ; de fait, il est probable que la plupart seront d’anciens membres des forces de l’ordre. Il est hélas acquis que le terrorisme islamiste représente une menace de long terme. Ainsi, au-delà de leur rôle crucial de sécurisation des ERP et des sites SEVESO, les agents privés armés constitueront un atout à l’horizon des futurs grands événements annoncés en France, tels que les Jeux Olympiques de 2024 ou l’Exposition Universelle de 2025 pour laquelle la France est candidate.” Thibault de Montbrial CONTRE – une loi qui ne prend pas en compte la difficulté de former à l’armement “Cette loi semble avoir été promulguée dans la précipitation face à la pression des médias et de l’opinion publique, suite à la vague d’attentats qui frappe l’Europe depuis 2015. Or, je suis convaincu que ce n’est pas en armant les agents de sécurité et de protection que nous pourrons lutter efficacement contre la malveillance, la criminalité et le terrorisme. L’idée selon laquelle le bilan des victimes aurait été moins important s’il y avait eu des personnes armées dans la salle du Bataclan, n’est qu’une simple hypothèse. Pour apporter une solution à un problème, le législateur n’est-il pas en train d’en créer un autre ? En effet, l’armement est un sujet extrêmement sensible qui implique une solide formation de l’agent et surtout un accompagnement particulier en matière de management et de contrôle. Quand j’observe les difficultés de l’institution Police à entraîner les agents porteurs d’une arme pour des raisons de temps ou de budget, je suis dubitatif quant à la capacité des entreprises privées à le faire convenablement. Sans compter tout ce que cela implique en matière de sélection et de suivi des profils : recrutement extrêmement sélectif, enquête approfondie – différente de celle menée par le CNAPS – à la fois au niveau personnel et professionnel, recyclages réguliers pour maintenir les compétences à niveau, etc. Il faut par ailleurs mettre en place un management opérationnel exemplaire afin de prévenir tout risque de débordement. Enfin, malgré le décret d’application, de nombreuses questions restent en suspens : quid de l’utilisation de l’armement en cas d’intrusion malveillante ou d’agression ? Quelle coordination avec les forces de l’ordre ? Je suis donc plus que réservé concernant cette nouvelle mesure.” Crédit photo principale : © GORON Facebook Twitter LinkedIn
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