Depuis de nombreuses années, et en particulier depuis début 2020, il semblerait que l’un des termes les plus fréquemment utilisés soit le mot crise. Même si celle-ci peut revêtir des formes très variées, sa notion de gestion semble plus difficile à cerner. Que ce soit pour une organisation, une entreprise ou un individu, la définition de la gestion de crise reste pourtant la même. Seuls les moyens, l’organisation et les processus diffèrent. 

Les deux années de crise sanitaire nous ont également montré les capacités des organisations à apporter des plans d’action rationnels, et en adéquation avec l’évolution permanente des éléments de contexte. Pour le plus grand nombre, la posture de gestion de crise n’est que ponctuelle, le but étant de minimiser les impacts et de revenir à la normalité. La réponse est, dans une grande majorité de cas, apportée par les gestionnaires des risques en charge des plans, avec pour objectif principal de gérer les conséquences immédiates avec les parties prenantes primo-intervenantes connues. 

Cette réponse est tout à fait compréhensible, car elle s’appuie sur la vision d’un événement comme étant un scénario de risques, auquel nous répondons par la mise en place d’un plan préparé à l’avance, et sur lequel se greffent des éléments de communication de crise. 

Mais à trop vouloir se cantonner aux risques, nous en oublions que c’est une crise, et qu’il est primordial de répondre à la question fondamentale : qu’est-ce que l’on attend de nous ?

La culture durable de la gestion de crise

La manière dont les réponses sont apportées, et encore plus leur contenu, nous renseignent sur le chemin qu’il nous reste à parcourir pour que la thématique de la gestion de crise devienne enfin un véritable métier. Celle-ci est une posture dérogatoire, dans le sens où, même si l’organisation est préparée à faire face, l’acceptation, l’adaptation et la création d’un modèle de réponse qui n’existe pas sont les clés essentielles à l’atteinte des attendus.

Les crises récentes nous ont, dans une grande majorité des cas, montré tout autre chose :

  • Coupable en aucun cas. 
  • Rejet de la faute sur les autres et/ou le contexte. 
  • Injustice aux vues de tout ce qui a été fait en amont. 
  • Solutions et plans d’action en décalage avec les attendus. 
  • Empathie fausse, excuses tardives non suivies par un réel changement de posture. 

Personne ne souhaite que le mot CRISE devienne cet acronyme.

Pourtant les cas Orpea, Buitoni, Ferrero, Lactalis, Lubrizol nous montrent que le contexte actuel rend les choses plus difficiles que prévu. 

Et si les crises actuelles étaient enfin une opportunité pour les entreprises d’implémenter une culture durable de la gestion de crise ? En d’autres mots, changer enfin de paradigme pour que cette mission devienne permanente et éthique.

Nous entrons indéniablement dans une période où nous devons non pas gérer des crises ponctuelles, mais bel et bien des situations longues, exogènes et/ou endogènes, dont les conséquences immédiates et futures ne font que s’additionner. Pour faire face à cette situation, la question à se poser est la suivante : n’est-il pas nécessaire de mettre en place une culture permanente de gestion de crise au sein des organisations dans le but de compléter, le cas échéant et en fonction de la situation, les procédures habituelles et les plans de gestion des risques existants ? 

Tout cela résonne bien en théorie. La pratique se veut bien plus complexe.  

La gestion de crise et ses différentes options

Il est vrai que le but premier d’une entreprise n’est pas de gérer des crises. Et le paradoxe rencontré par celle-ci, en ces temps perturbés, est de mobiliser une cellule de crise avec des collaborateurs et collaboratrices dont ce n’est pas le métier permanent. 

La première option est de ne rien faire, car la mobilisation de tous les collaborateurs et des autorités débouchera quoi qu’il en soit sur une solution.

La deuxième solution est de s’appuyer sur les gestionnaires des risques. Directeurs et/ou responsables sécurité/sûreté sont tout désignés pour travailler sur la mise en place d’une organisation et des procédures.

La troisième solution est de gérer la crise en tout petit comité (le fameux entre-soi) ; avec l’assistance de cabinets spécialisés, pour protéger sa réputation, et transférer le risque juridique de manière optimisée. 

La réalité nous montre que ces trois hypothèses ne permettent pas d’atteindre totalement les attendus en termes de gestion des impacts. Et plus que les conséquences, elles ne prennent pas véritablement en compte dès le temps de « paix » les attendus des parties prenantes. Ces postures restent donc avant tout réactives, alors que le temps présent nous demande d’être proactifs.

Ne pas avoir d’organisation préparée à l’avance crée dès le départ un décalage important, voire une perte de confiance et de crédibilité face aux attendus des parties prenantes internes comme externes.

Les gestionnaires des risques doivent porter de plus en plus de casquettes différentes. Et cette multiplication de responsabilités se fait au détriment de la continuité des actions nécessaires à la mise en place d’un système de gestion de crise pérenne, et amélioré en fonction des retours d’expériences et des éléments de contexte. Sans oublier que le temps passé à la formation n’est pas compatible avec des emplois du temps où nous sommes trop occupés à être occupés. 

Enfin, on ne peut plus solutionner une situation de crise en gérant uniquement et en priorité des risques réputationnels et juridiques. 

Face à ce constat, comment peut-on alors mettre en place une culture de gestion de crise au sein d’une organisation, d’une entité et plus généralement d’une entreprise ? 

La culture de gestion de crise au sein de l’entreprise

Pour atteindre cet objectif ambitieux, il convient de décliner l’acronyme CRISE de la manière suivante :

  • Création d’un modèle de réponse à partir d’une posture dérogatoire.
  • Rassemblement de toutes les compétences nécessaires.
  • Implémentation de plans d’action.
  • Suivi et contrôle de l’adéquation du plan d’action avec la réalité de la situation.
  • Écoute active des parties prenantes et empathie.

Ces 5 points ne peuvent être atteints que si l’ensemble des acteurs se fédèrent autour d’une méthodologie commune. Cette méthodologie doit bien entendu répondre aux attendus en période de crise, mais plus que cela. Elle doit être le référentiel commun qui permet à chaque collaborateur, chaque manager et chaque directeur d’apporter une pièce du puzzle à la réponse attendue.

Il devient de plus en plus difficile de gérer une situation en ajoutant des sentiments à une émotion déjà omniprésente, et relayée par les réseaux sociaux et la multitude d’experts intervenant sur les chaînes d’information permanente.

Il devient de plus en plus difficile de gérer une situation en ajoutant des sentiments à une émotion déjà omniprésente, et relayée par les réseaux sociaux et la multitude d’experts intervenant sur les chaînes d’information permanente.

La méthodologie de gestion de crise

Cette culture, inscrite dès le temps de paix, doit permettre à toute organisation de faire face à tout événement, et d’y répondre par le niveau adéquat.

Pour cela, la méthodologie utilisée doit remplir les 5 exigences suivantes.

La première exigence concerne la vision de l’événement. Voir un événement consiste avant tout à confirmer toutes les informations et à en lister les premières conséquences. Il ne peut y avoir qu’une seule histoire à raconter.

Le deuxième attendu est de dégager rapidement les priorités, pour faire face aux conséquences immédiates, et se coordonner avec les parties prenantes également impliquées dans la gestion de cet événement.

Le troisième consiste à respecter la philosophie de la gestion de crise. Tout ce qui doit être fait doit répondre, d’une part, à la sévérité des impacts immédiats et futurs et, d’autre part, aux attendus des parties prenantes impactées, impliquées et à informer.

Le quatrième est la stratégie à adopter pour montrer à l’ensemble des acteurs votre réelle volonté de gérer l’événement. Le véritable but à atteindre à la fin de chaque crise n’est pas le retour à la normale. La crise vécue a déjà modifié l’existant. Le véritable objectif est ainsi de montrer sa capacité à gérer la situation et à apporter des réponses concrètes, rationnelles et suivies aux attentes des parties prenantes.

La dernière exigence est l’image indélébile qui restera à l’issue de votre période de gestion de crise. Votre capacité, au-delà des mots et des communications, d’implémenter, de suivre et de contrôler des plans d’action. Ceux-ci devront s’adapter à la réalité de la situation, et faire l’objet des modifications nécessaires. 

Intégrer la gestion de crise dans l’entreprise

La période de gestion de crise est pour une entreprise révélatrice de ce qu’elle est vraiment, et du contexte qui l’entoure. C’est pourquoi l’entre-soi ne fonctionne plus, et le repli sur soi-même est une erreur. Devenir un autre soi dans cette période délicate est devenu une nécessité. Dans un contexte de « disruption continue », il serait peut-être temps d’être également « disruptif » dans la manière d’aborder une crise. Les réticences sont grandes, car tout devient progressivement un véritable enjeu de pouvoir, où les priorités et les stratégies se révèlent déjà être en décalage avec la philosophie attendue. 

Dans un contexte de totale incertitude, un simple tremblement de terre peut générer un tsunami dévastateur. La mise en place d’une véritable culture au sein des entreprises permet d’accepter un grand nombre d’événements. Mais plus que cela, elle permet d’éviter de tomber dans le piège du tout réputationnel et juridique. Elle permet de l’inscrire dans le volet éthique, pour ainsi agir pour rendre notre monde meilleur.

Lilian Laugerat

Président de Solace et expert en gestion des risques sûreté

Lilian Laugerat dirige le cabinet de conseil Solace, spécialisé dans l'analyse des risques sûreté et la posture de gestion de crise. Solace est une entité de Cecys Group, filiale du Groupe Goron.

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