Et s’il était temps que la gestion de crise évolue enfin au cœur des entreprises ? Et si les formations sur le sujet arrêtaient de se baser sur une théorie du doigt mouillé, sans indicateur précis ? Lilian Laugerat, président de Solace et expert en gestion de crise, nous alerte sur l’évolution nécessaire de la gestion de crise en 2020. Après, il sera trop tard…

Déjà, 2019 nous avait ouvert les yeux sur la réalité des crises et sur le sujet épineux de leur gestion. Lubrizol, les cyberattaques variées et ciblées (M6, hôpital de Rouen…) en sont des exemples marquants. Nous ne sommes qu’au début de 2020, mais le nombre et la diversité des sujets de crise touchant les organisations s’allongent. C’est que le monde évolue vite.

Or, malgré des menaces grandissantes, la gestion de crise reste ancrée dans un modèle ancien.

Les entreprises doivent évoluer rapidement

La première erreur constatée consiste ainsi gérer une situation critique avec ses procédures habituelles et/ou avec un plan préparé à l’avance. La posture appelée gestion de crise ne s’improvise pas. Dans le monde de l’entreprise, l’immense majorité des membres des cellules de crise ne sont pas experts en gestion de crise, et la durée de leur formation oscille allègrement entre 3 heures et 2 jours par an, dans le meilleur des cas. Rappelons que, pour être un expert dans un domaine, il faut compter environ 10 000 heures d’études et de pratique, soit entre 5 et 10 ans de travail.

Si l’on peut comprendre que la priorité d’une entreprise n’est pas de se préparer à gérer une crise, le contexte actuel nous montre une réalité bien opposée et inquiétante. Le modèle ancien, combinant réponse d’urgence et communication de crise, montre ses limites, et peut même se révéler dangereux. L’indicateur de performance le plus important pour une entreprise est bel et bien sa capacité à gérer une crise, et en particulier sa capacité à intégrer les attentes de toutes les parties prenantes, notamment les citoyens. Et ce point pose véritablement problème.

Les attentes des parties prenantes sont de plus en plus fortes en période de crise. Si elles ne sont pas prises en compte, les acteurs de la crise rejoignent le seul support qui peut entendre leur colère, voire leurs peurs : les réseaux sociaux. Le cas Lubrizol et le début du mouvement des gilets jaunes en octobre 2018 sont deux cas d’école du manque de compréhension des attentes des parties prenantes, et ce dès le début de l’événement.

La nécessaire transformation de la formation en gestion de crise 

Autre problème : les formations dispensées aujourd’hui ne s’appuient sur aucun standard, sur aucune norme. Nous pourrions également parler des exercices de gestion de crise qui sont construits sans connaître les points à évaluer. Cela ressemble donc de plus en plus à la pratique du doigt mouillé. En d’autres mots, chacun fait ce qu’il veut, et dispense ses propres vérités !

Dans un pays où il existe plus de 400 000 normes, aucune ne permet de vérifier le degré de préparation d’une entreprise à la gestion de crise.

Il serait donc temps de regarder tout cela de plus près. Dans un pays où il existe plus de 400 000 normes, aucune ne permet de vérifier le degré de préparation d’une entreprise à la gestion de crise. Et, lorsque le sujet de la formation est abordé, c’est le vide absolu.

Le modèle français n’existe pas, il est tout au plus une combinaison variable de concepts tournant en fonction de l’actualité autour de la réponse d’urgence, de la continuité d’activité et de la communication de crise. De plus, il n’existe pas de véritable filière métier dans le domaine de la gestion de crise. En fait, tout le monde peut se revendiquer expert en gestion de crise, et dispenser des formations au sein des entreprises. Rien ne garantit aujourd’hui que la formation, voire les conseils dispensés seront en adéquation avec la réalité.

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Relever le défi des crises futures

Dans ce marasme, il existe une certitude : les crises qui touchent les entreprises sont aujourd’hui plus complexes à gérer. Les parties prenantes se multiplient, et les réseaux sociaux deviennent le réceptacle d’émotions démultipliées. Le contexte dans lequel se produit l’événement peut ajouter son lot de complexités, par un phénomène de coagulation imprévisible.

Pour relever les défis qui attendent les entreprises dans la gestion des crises futures, il convient de réfléchir au contenu des formations dispensées. Quels sont les fondamentaux que tout participant doit retenir dans le but d’améliorer son engagement dans une période où règnent l’incertitude et l’urgence du plan d’action ? Comment mettre en place une véritable culture de la gestion de crise en temps de paix, dans le but d’améliorer les compétences, et ainsi s’assurer de la mise en place le jour J d’une cellule de crise performante ?

Vers une méthode de gestion de crise universelle ?

Pour atteindre cet objectif, deux pistes sont à explorer. Et elles ont déjà fait leurs preuves au sein de grandes entreprises, en France comme à l’international.

La première piste consiste à mettre en place une méthode universelle de gestion de crise dont la particularité est de pouvoir être utilisée sur tout type d’événement, à la fois en temps normal, en cas de réponse d’urgence, et en temps de crise. L’installation de ce cadre universel a plusieurs avantages.

  • Avantage 1 : il permet de gérer tous les événements vécus par l’entreprise avec la même méthode. 
  • Avantage 2 : en cas d’augmentation de la sévérité des impacts, il fait collaborer tous les protagonistes internes selon les mêmes codes et les mêmes fondamentaux. Installer cette logique permet de gagner du temps, et surtout de s’assurer que la bonne posture a été prise. En d’autres mots, il ne faut pas hésiter à mobiliser une cellule de crise.

En tout état de cause, la formation doit s’architecturer autour de modules dont la logique et la simplicité permettront à tout collaborateur d’intégrer la cellule de crise de son entité ou de son entreprise. Elle doit ainsi donner, en peu de temps, les techniques fondamentales pour travailler en équipe et chercher à répondre aux attendus en termes de gestion des impacts et des demandes des parties prenantes.

Sans oublier le point fondamental : les collaborateurs d’une entreprise ne sont pas des experts en gestion de crise. Les principes dispensés doivent être utiles, utilisables et utilisés. Et ce dernier terme est essentiel. Si les principes universels de la gestion de crise sont appliqués de manière fréquente, voire quotidienne, dans le management, ils deviennent alors naturels au moment des crises.

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Comment évaluer la gestion de crise en entreprise ?

La seconde piste concerne l’évaluation des exercices de gestion de crise. Et, là encore, nous sommes face à un véritable dilemme. Quels sont les critères d’évaluation à utiliser pour analyser le travail d’une cellule de crise ? Plus encore, quels sont les critères de construction d’un exercice ? On observe depuis quelque temps une dérive dans ces exercices. On ne cherche plus à faire travailler les fondamentaux des cellules. Au contraire, on propose des formats de plus en plus hollywoodiens où les effets spéciaux sont remplacés par un nombre de sollicitations hors normes, et la création d’un contexte nécessitant des réponses et des stratégies sur le long terme, alors que l’exercice ne dure que 3 heures. Tout le contraire d’une fondation solide pour se préparer à la réalité d’une crise.

Demandez aux personnels de l’hôpital de Rouen qui ont dû faire face à une cyberattaque paralysant l’ensemble de leur système. Plus la moindre technologie ou le moindre logiciel : juste le papier et le crayon. Un retour aux fondamentaux en somme.

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Lilian Laugerat

Président de Solace

Lilian LAUGERAT dirige le cabinet de conseils SOLACE spécialisé dans l'analyse des risques sûreté et la posture de gestion de crise.

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