Pourquoi si peu de femmes dans la cybersécurité ? Pour tenter de remédier au manque d’attractivité structurel de cette filière pour les talents féminins, Nacira Salvan, docteure en informatique, a fondé en 2016 le Cercle des femmes de la cybersécurité. Selon elle, les idées reçues ont encore la vie dure, dans un secteur pourtant pourvoyeur d’emplois du fait de l’ampleur du risque cyber.

Pour quelles raisons avez-vous fondé le Cercle des femmes de la cybersécurité (Cefcys) en 2016 ?

Nacira Salvan : Je suis ingénieure et docteure en informatique. Durant ma formation, je me suis rendu compte que je rencontrais très peu de femmes. Ensuite, en entreprise, j’étais souvent la seule femme dans les équipes. 

J’ai dirigé une équipe de support de 15 personnes chez SG2 (filiale de la Société Générale) et souvent, les interlocuteurs (hommes comme femmes) demandaient à parler à un ingénieur support homme alors que j’étais tout aussi compétente… 

Cela m’exaspérait de toujours devoir me justifier, de montrer que je pouvais faire comme les hommes (tirer les câbles, brasser des baies) … Alors qu’un homme est d’emblée légitime en tant que chef dans le numérique. Je constatais aussi beaucoup de stéréotypes de genre qui sous-entendaient que les petites filles ne sont pas faites pour ça. Sans oublier le manque de modèles féminins dans ce secteur qui explique en partie que les femmes ne s’orientent pas spontanément vers la cybersécurité. 

Je me suis dit : les enjeux sont énormes, nous avons besoin de tout le monde. Au lieu de pleurer, faisons progresser ensemble (avec les hommes évidemment !) la présence des femmes dans la filière. L’objectif était de casser les stéréotypes. Mais aussi de sensibiliser les étudiantes, les entreprises, les partenaires éducatifs, pour que la filière cybersécurité soit mieux connue et mieux appréciée. L’enjeu était aussi de faire progresser la mixité dans la filière qui représente une vraie valeur ajoutée et une véritable richesse. Une filière qui est encore mal jugée, vue comme un secteur d’hommes geeks.

Huit ans plus tard, comment l’association contribue-t-elle concrètement à attirer les talents féminins vers les métiers de la cybersécurité ? 

Le Cercle des femmes de la cybersécurité compte aujourd’hui 500 adhérents et adhérentes. Parmi eux figurent des femmes expertes, analystes, consultantes, des RSSI (responsables de la sécurité des systèmes d’information), des étudiantes, des personnes en reconversion… 

L’un de nos axes principaux est d’informer, d’orienter et de former. Ce qui passe notamment par des cycles d’accompagnement, du mentorat, des master class, des webinars. 

Nous avons noué des partenariats avec de grandes entreprises de la cybersécurité qui offrent à nos adhérents, et notamment aux personnes en recherche d’emploi ou en reconversion, des formations gratuites et certifiantes. Nous organisons également un salon du recrutement, mais aussi les Trophées Européens de la femme cyber et le Cyber Woman Day. Ceci afin de mettre en lumière des talents féminins. 

Il y a des stéréotypes de genre et un manque de modèles féminins dans ce secteur qui explique en partie que les femmes ne s’orientent pas spontanément vers la cybersécurité.

Nacira Salvan, Présidente-fondatrice du Cercle des femmes de la cybersécurité

Vous avez également publié plusieurs ouvrages qui se veulent inspirants pour encourager davantage de femmes à rejoindre la filière.

Effectivement, le premier, publié en 2019, Je ne porte pas de sweat à capuche, pourtant je travaille dans la cybersécurité, dans lequel on s’attaque aux clichés qui détournent les talents, tant féminins que masculins, d’un secteur porteur d’avenir. Ce livre est un plaidoyer en faveur des métiers et des parcours de formation, dès le collège et tout au long de la vie professionnelle. Il s’adresse aux lycéen(ne)s et étudiant(e)s, aux parents soucieux de l’avenir de leurs enfants, aux enseignants, aux professionnels de l’orientation, aux salarié(e)s en reconversion… Il avait également pour vocation de casser les clichés, de démystifier la filière auprès des femmes, avec les témoignages de 23 visages féminins aux horizons, secteurs et expériences divers, auxquels s’identifier.

L’association a aussi publié en août 2023 Je suis une femme et je travaille dans la cybersécurité, qui regroupe 65 portraits de femmes en France, en Europe et au Maroc, aux profils, compétences, parcours et postes très différents là encore. 

Car il faut bien comprendre que la cybersécurité englobe une grande diversité de métiers. Il peut s’agir de l’identification et de l’analyse des risques, de la mise en place des mesures de protection, de la formation des utilisateurs, des opérations de surveillance via les SOC (Security Operation Center) ; mais aussi des domaines de la gestion de crise, puis de la résilience avec la reprise d’activité après une attaque. 

Alors que tous vos travaux visent à améliorer la présence des femmes dans la cybersécurité, quel est l’état des lieux aujourd’hui ? 

On constate un manque global de profils cyber techniques opérationnels, mais aussi au niveau de la gouvernance. À l’échelle mondiale, il y a 3 millions de postes ouverts dans la cybersécurité…

D’après l’observatoire des métiers de la cybersécurité lancé par l’ANSSI en 2011 (l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) la cybersécurité compte seulement 10 % de femmes. Une proportion qui chute jusqu’à 3 à 5 % dans les postes d’encadrement. 

C’est pourtant une filière d’avenir aux multiples enjeux : tout le monde est désormais potentiellement une cible pour une cyberattaque. Les professionnels et professionnelles de la cybersécurité protègent le patrimoine numérique des particuliers, des entreprises, des administrations et de l’État. La tâche est immense, passionnante, on s’y sent utile. Mais les femmes n’y vont pas suffisamment. 

Comment faire pour inverser la tendance ? 

D’abord, il faut que les parents et le système éducatif comprennent et expliquent qu’il n’y a pas de métiers réservés aux hommes et d’autres aux femmes. Et ce, avant le collège. Si l’on attend l’orientation postbac, l’entrée en école d’ingénieur, c’est déjà trop tard. 

Il faudrait par exemple introduire dans le cycle scolaire la connaissance des métiers du numérique, encourager et multiplier les stages dans ce secteur comme les cours d’informatique. Plus on commence à se familiariser avec cet univers jeune, mieux c’est !

Il y a encore un important travail à mener pour former beaucoup plus. Aujourd’hui, recruter dans la cybersécurité prend des mois par manque de compétences disponibles…

Il y a encore un important travail à mener pour former beaucoup plus. Aujourd’hui, recruter dans la cybersécurité prend des mois par manque de compétences disponibles…

Nacira Salvan, Présidente-fondatrice du Cercle des femmes de la cybersécurité

Qu’auriez-vous envie de dire aux femmes qui souhaitent rejoindre la cybersécurité, notamment les étudiantes et les personnes en reconversion professionnelle ? 

Osez ! Il faut en finir avec l’auto-censure, allez-y ! La cybersécurité n’est pas un métier d’homme. Malheureusement, de nombreuses femmes continuent de penser que ces métiers ne sont pas pour elles car trop techniques. Pourtant, face à l’ampleur des enjeux et des menaces, toutes les forces sont les bienvenues.

Nacira Salvan

Présidente-fondatrice du Cercle des femmes de la cybersécurité

Docteure en informatique, Nacira Salvan exerce des responsabilités en cybersécurité depuis plus de 25 ans. Après avoir œuvré dans de grands groupes (Société Générale, Safran, PwC, Thales…), elle occupe aujourd’hui le poste de cheffe de mission PSSI (Politique de sécurité des systèmes d’information) du ministère de l’Intérieur. En 2016, elle fonde le Cercle des femmes de la cybersécurité (Cefcys), qu’elle préside toujours actuellement. Elle a été reconnue parmi les 100 personnalités les plus influentes dans la cybersécurité en France et parmi les 50 femmes les plus influentes dans ce secteur par l’Usine Nouvelle.

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