Longtemps atone, le marché français des entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD) connaît actuellement une mutation rapide du fait de plusieurs fusions-acquisitions. On pense notamment au rachat de GEOS par l’ADIT en octobre 2018. Georges-Henri MARTIN-BRICET – Directeur du développement de l’Ecole supérieure de la sûreté des entreprises (ESSE) – revient sur les handicaps structurels qui ont longtemps empêché l’émergence d’acteurs français de poids, sur ce marché de la sûreté internationale. Il n’a jamais fait secret pour les observateurs du secteur et les dirigeants des ESSD eux-mêmes, des grandes carences dont souffrait et souffre toujours, le marché de la sûreté internationale en France. Trop sous-dimensionnées, trop peu soutenues financièrement et donc limitées dans leur développement, confrontées à des théâtres extérieurs très volatiles (on pense à l’Irak où seule se maintient encore la société Anticip)… Les ESSD françaises déplorent elles-mêmes leur stagnation sur un marché sur lequel les acteurs américains et britanniques se taillent, avec l’appui de leurs Etats d’origine, la part du lion. Les ESSD françaises déplorent elles-mêmes leur stagnation sur un marché sur lequel les acteurs américains et britanniques se taillent, avec l’appui de leurs Etats d’origine, la part du lion. A titre d’exemple, plombée par les impayés, Sovereign Global Solutions, qui s’était installée à Londres et spécialisée dans la formation des armées africaines et l’anti-piraterie, a été mise en liquidation judiciaire en 2017. En 2015, victime de la rétraction de plusieurs marchés, Gallice avait subi le même sort et avait été contrainte de se restructurer et de délocaliser ses activités internationales via une filiale en Irlande. Quant à Risk&Co – pourtant une des sociétés françaises pionnières et leader sur ce marché –, elle a été mise en vente par son actionnaire en novembre 2018. En réalité, la faiblesse du secteur en France s’explique par trois facteurs structurels : premièrement un cadre juridique et une culture régalienne inadaptés à l’externalisation de ces services ; deuxièmement une commande publique et un soutien de l’Etat quasi nuls à ces activités ; enfin une interconnexion faible avec les acteurs financiers (banque, assurances et capital-risque). Externalisation des services de sécurité et de défense : une doctrine introuvable Sur le plan juridique, la loi d’avril 2003 relative à la répression du mercenariat, a longtemps paralysé la réflexion de l’Etat sur l’externalisation des services de sécurité et défense, enfermant cette question dans l’imaginaire « barbouzard » de l’époque Denard. Elle a ainsi empêché l’émergence d’une vraie analyse sur la recomposition du monopole régalien des activités de défense ; analyse devenue indispensable dans un contexte de tension de plus en plus forte sur le budget des armées. Il est toutefois vrai que la position des autorités françaises s’est décrispée au fil du temps. Une politique de sous-traitance s’est mise en place à bas bruit et au cas par cas, en fonction des urgences et des besoins ponctuels (à l’exemple des missions de renseignement aérien effectuées par CAE Aviation au profit de la DRM et de la DGSE). Du côté des Affaires étrangères, on peut aussi évoquer l’ouverture partielle aux acteurs privés, de la protection des ambassades dans certaines zones. Au registre des rares exemples d’externalisation stable et réussie ces dernières années, on peut également citer le contrat Hélidax de formation des pilotes d’hélicoptères de l’Aviation légère de l’armée de terre, confié à la société Défense Conseil International (DCI). Opérateur de référence du ministère des Armées, DCI occupe néanmoins une position en marge des ESSD et reste le relai direct de la politique étrangère de l’Etat français (à l’instar de CIVIPOL pour le ministère de l’Intérieur). Au final, les ESSD attendent toujours une doctrine permettant d’encadrer et de soutenir leur essor. La question des services de protection rapprochée armée continue par exemple à relever du casus belli en l’absence d’une véritable stratégie intégrée entre le public et le privé et d’une délimitation claire des périmètres et des missions qui peuvent être sous-traitées. Témoin de ce perpétuel contretemps de l’Etat français, la loi autorisant les entreprises de protection embarquée a été adoptée en 2014, bien après que la bulle économique de la lutte anti-piraterie ait éclatée. Un soutien trop faible de l’Etat et des acteurs financiers Autre facteur structurel : en matière de commande publique, la France se situe aux antipodes de ce qui fait la force du modèle anglo-saxon. En effet, les acteurs américains des services de sécurité et de défense n’ont pu atteindre une taille critique que grâce à la commande publique. Les marchés de l’Etat fédéral, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, pèsent souvent de l’ordre de 75 à 90 % du chiffre d’affaires des sociétés militaires privées américaines. Les contrats-cadres courent en général sur des durées de 5, 10 voire 15 ans, sur des volumes de plusieurs centaines de millions à plusieurs milliards de dollars. Ce qui leur autorise des marges conséquentes et leur permet de développer des visions de moyen terme. Les marchés de l’Etat fédéral, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, pèsent souvent de l’ordre de 75 à 90 % du chiffre d’affaires des sociétés militaires privées américaines. Enfin, il faut noter que toutes les grandes ESSD américaines sont détenues par de grands actionnaires spécialisés dans le capital-risque : Apollo Global Management pour Constellis ou encore Cerberus Capital pour Dyncorp. De même, les entreprises britanniques se sont développées avec un appui très fort des secteurs de la banque et de l’assurance. Control Risks a par exemple été créée dans les années 1970, comme succursale de la firme d’assurance Hogg Robinson qui cherchait à exploiter le marché de la sûreté internationale. C’est dans ce contexte que naquirent les polices d’assurance Kidnapping and Ransom (K&R) qui constituent aujourd’hui un produit standard dans le domaine du travel risk management. A contrario, les ESSD françaises ont été obligées de se développer sur fonds propres auprès d’une clientèle majoritairement privée. Cette situation a évidemment fortement impacté leurs capacités de développement et a débouché sur un paysage atomisé de TPE qui dépendent souvent d’un marché ou d’un client unique. Seuls les acteurs ayant réussi à s’adosser à un actionnaire solide sont parvenus à sortir de la stagnation et à développer une stratégie de croissance suffisante pour dépasser les 20 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est le cas de Geos avec l’allemand Halisol, Risk&Co avec Latour Capital et Amarante avec Seris. Le paysage français des ESSD est toutefois en train de changer. Il a notamment subi trois mutations rapides ces dernières années. D’abord en 2015, avec le rachat de 44% des parts d’Amarante par le groupe Seris, puis en 2018 avec la fusion-acquisition du groupe Geos par l’ADIT et l’annonce de la mise en vente de Risk&Co. Ce mouvement de concentration, prévisible et souhaité par les acteurs de ce secteur, dispose-t-il pour autant les ESSD françaises à concurrencer leurs homologues anglo-saxons ? La suite est à découvrir dans le prochain article. Facebook Twitter LinkedIn
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