Quelle est la différence fondamentale entre la réponse d’urgence et la gestion de crise ? Pour Lilian Laugerat, président de Solace et expert en gestion des risques sûreté, il est temps de se reposer cette question fondamentale afin de mieux gérer les crises dans les années à venir.

26 septembre 2019. Les Rouennais se réveillent avec une étrange sensation : devant eux, un impressionnant panache de fumée assombrit l’atmosphère. L’usine de produits chimiques Lubrizol est en flamme. C’est le branle-bas de combat à la préfecture qui réunit une cellule de crise. Les messages rassurants – et quelquefois contradictoires – s’égrènent dans le mois qui suit l’événement. Mais cette gestion de la crise n’est pas sans susciter de nombreuses questions au vue des critiques des citoyens ou des ONG. Olivier Borraz du CNRS pointe, par exemple, le modèle français inadapté de la gestion de crise avec un État qui ne prend pas en compte les apports et les demandes des citoyens ou des associations. Un débat qui pose immédiatement la question de la définition même de la gestion de crise par rapport à la réponse d’urgence.

Gestion de crise, une question de dynamiques

Pour définir ce qu’est la réponse d’urgence (Emergency Response dans le monde anglo-saxon) et la gestion de crise, il convient de revenir sur la dynamique d’un événement.

Chaque événement de notre vie courante – et en particulier dans la vie professionnelle – génère des impacts. Ces impacts se répartissent en 5 catégories : 

  • les personnes, 
  • l’activité, 
  • l’image, 
  • la responsabilité, 
  • et l’environnement.

Pour faire face à ces impacts, il existe trois possibilités. 

  1. La première consiste à se contenter des procédures et processus habituels. 
  2. S’ils ne sont pas suffisants pour prendre en compte la sévérité des impacts, des plans d’urgence spécifiques sont activés. Ces plans ont pour objectifs de gérer les impacts immédiats touchant en particulier les personnes (victimes), l’activité (Plan de Continuité de l’activité) et l’environnement (Pollution). Dans une grande majorité des cas, ceux-ci intègrent des parties prenantes connues et identifiées en amont. 
  3. Enfin, et si ces plans ne permettent pas de gérer la sévérité des impacts, la dernière possibilité réside dans la mise en œuvre d’une posture dérogatoire, à savoir la gestion de crise.

 

À la différence de la réponse d’urgence, la posture de gestion de crise se définit comme une organisation spécifique et adaptée. Elle permet d’une part de gérer les conséquences immédiates et potentielles d’un événement, et d’autre part les attendus des parties prenantes impliquées, impactées et à informer.

“La question que doit se poser le gestionnaire de crise ne se résume plus à ce que je dois faire, mais à ce que l’on attend de moi. Et c’est ce qui fait toute la différence aujourd’hui.”

Gestion de crise vs le plan d’urgence

Cette posture dérogatoire va plus loin que les actions qui ont été prises dans le cadre des plans d’urgence. La gestion de crise est à considérer comme l’ultime recours à une situation de risques. En d’autres mots, elle doit être prévue et mobilisable dès qu’il y a incapacité à gérer la sévérité des impacts avec les processus habituels et les plans rédigés en amont. 

Si les plans d’urgence sont bel et bien prévus pour gérer des situations dont les impacts sont connus, ils ne permettent pas toujours de prendre en compte l’ensemble des attendus imprévisibles des parties prenantes. Cette nuance est essentielle. 

La gestion de crise permet certes de prendre en compte les impacts (personnes, activités, image, responsabilités et environnement), mais également de définir les réponses à apporter aux parties prenantes, c’est à dire la communication. 

Cette communication doit apporter des éléments de réponse rationnels et adaptés aux attendus des parties prenantes. Il s’agit de faire preuve d’écoute (de préférence active) et de  montrer son empathie. C’est à ce niveau que réside la différence fondamentale entre la réponse d’urgence et la gestion de crise, et c’est sans doute ce qui a manqué dans le cas de l’usine Lubrizol.

Et pourtant, le cas de Lubrizol comme beaucoup d’autres (Lactalis par exemple) nous montrent que nous pouvons prendre en compte les attendus en amont des crises. Il suffit alors de demander aux potentielles parties ce qu’elles attendent en période crise, et en particulier si tel scénario survient. Par exemple, pour les riverains d’un site industriel, quelles sont les actions que vous attendez de notre part s’il y a un problème grave ? 

La question que doit se poser le gestionnaire de crise ne se résume plus à ce que je dois faire, mais à ce que l’on attend de moi. Et c’est ce qui fait toute la différence aujourd’hui.  

Lilian Laugerat

Président de Solace

Lilian LAUGERAT dirige le cabinet de conseils SOLACE spécialisé dans l'analyse des risques sûreté et la posture de gestion de crise.

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