Émergente il y a encore quelques années, la question de la neutralisation des drones aux abords des sites sensibles a pris une nouvelle dimension. Dans cette saga, Georges-Henri MARTIN-BRICET – directeur du développement de l’ESSE – et Stéphane CHATTON dressent un état des lieux des solutions anti-drones existantes et du degré de maturité des technologies par rapport aux besoins du marché. L’intensité de la menace drone a naturellement provoqué ces dernières années, la naissance d’une bulle de Recherche & Développement, où majors de l’industrie de défense et start-up tentent de se tailler la part du lion. Au total, on recense aujourd’hui 155 sociétés à travers le monde offrant des solutions anti-drones*. Néanmoins, malgré un chiffre d’affaire mondial qui pourrait atteindre 1,5 milliards d’euros d’ici cinq ans, le marché de l’anti-drone reste pour l’instant largement exploratoire. Sur cette niche, les start-up se montrent les plus dynamiques. Parmi celles à la réputation naissante, on peut notamment avancer les noms de DroneShield (Australie), Apollo Shield (Israël), Department 13 et DeDrone (Etats-Unis) ou encore MyDefence (Danemark). La France n’est pas non plus en reste. Plusieurs sociétés de l’Hexagone se sont judicieusement positionnées afin d’anticiper la cristallisation de ce marché sur la prochaine décennie. Ainsi, aux côtés des grands noms de l’industrie de défense que sont Airbus et Thalès, il faut citer les noms de Cerbair, Orelia, MC2 Technologies, HGH et C&S. On évoquera également le projet Hologarde, porté conjointement par le groupe ADP, DNSA et Thalès. Taillé pour la protection des infrastructures critiques, il utilise le radar holographique Aveillant, capable de détecter un drone d’un kilo, à un kilomètre de distance. La majorité des acteurs ont axé leur politique de R&D sur des solutions intégrées, associant détecteurs radars, optiques, radio-fréquences et brouilleurs, afin d’optimiser les capacités de détection et d’interdiction de leurs systèmes. L’objectif est de livrer aux clients des plateformes complètes, couplant moyens de détection et de neutralisation. Au-delà de la maturité des technologies existantes, les obstacles qui se posent aux acteurs du secteur sont de taille. Ils sont notamment confrontés à trois enjeux majeurs : le coût, l’encadrement juridique et enfin la R&D. Quelles technologies pour quels prix ? Un équilibre à trouver La question du coût est centrale. Difficile de donner des éléments de référence précis, tant le marché est pour l’heure expérimental. La firme américaine Department 13 commercialise par exemple son système de détection à un coût moyen de 340 000 dollars (moins de 300 000 euros). La maintenance annuelle estimé à 44 000 dollars (38 000 euros). Les solutions radars déployées par des sociétés comme C&S ou Thalès se chiffrent quant à elles au-dessus du million d’euros, même si des solutions plus abordables vont voir le jour. Autre estimation, un système de brouillage omnidirectionnel avec un rayon d’action de 3 km, se situe dans une fourchette de 250 à 600 000 euros. Sur cette base, équiper d’un brouilleur l’ensemble des 54 centres pénitentiaires français coûterait entre 13 et 32 millions d’euros. L’investissement peut paraître raisonnable par rapport à la menace croissante qui pèse sur les prisons françaises. Il faut néanmoins y ajouter les moyens de détection, les coûts de maintenance et les moyens humains affectés au service des systèmes et leur formation. Pour donner un élément de comparaison, l’équipement d’une villa ou d’un hôtel de luxe avec des détecteurs RF se situe dans une tranche de 20 à 100 000 euros. Pour l’heure, les solutions destinées à la protection périmétrique de sites étendus sont donc très chères, hors de portée de la majorité des opérateurs privés de sites sensibles. Dans le domaine de la détection radiofréquence, le système Aeroscope commercialisé par DJI semble le plus abordable puisque que le constructeur chinois envisagerait de vendre sa solution dans les 5000 dollars. Précisons cependant que le système de DJI est limité à la détection des drones de sa propre marque et ne constitue donc pas pour le moment une solution globale satisfaisante. Un flou juridique qui handicape l’essor du secteur Le second enjeu vital pour les acteurs de l’anti-drone est de pouvoir bénéficier d’un cadre juridique clair. Celui-ci permettrait de lever les freins à la commercialisation de leurs systèmes et préciserait leurs possibilités d’emploi, en particulier pour les opérateurs civils de sites sensibles. En effet en France, les brouilleurs sont par exemple interdits de commercialisation et d’emploi par l’ARCEP (depuis l’ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 relative aux communications électroniques). Quant aux brouilleurs GPS, ils sont classés matériel de guerre par la DGA. Par conséquent, seuls les établissements pénitentiaires, les sites relevant de la sécurité et de la défense nationales ainsi que certains établissements du ministère de la Justice, bénéficient d’une dérogation. La solution adoptée par la Direction générale de l’armement est de passer les matériels – au cas par cas – en technologie duale, de façon à ce qu’ils aient des possibilités d’application civile mais aussi militaire. Cela permettrait de libérer les capacités de vente et d’exportation des sociétés françaises. Pour l’instant, le marché réservé de l’Etat est beaucoup trop limité pour permettre l’émergence d’entreprises de taille suffisante. Il faut donc trouver aux fabricants français des marges de manœuvre pour se développer sur le marché civil et à l’international dans un cadre juridique clarifié. Ils doivent aussi pouvoir s’appuyer sur des dispositifs publics de soutien à l’export. Rester au contact d’une menace en constante évolution Le dernier enjeu pour les constructeurs, enfin, est d’être capable de financer un effort de R&D, leur permettant de s’adapter à une menace en évolution constante. En effet, comme souvent, les systèmes de contre-mesures ont un temps de retard sur les technologies qu’ils ont vocation à neutraliser. Un mécanisme de rivalité mimétique entre systèmes et contre-mesures alimente donc la course à l’innovation des premiers, au détriment de l’efficacité des seconds. Ainsi, quid de la détection de micro-drones espions pesant quelques centaines de grammes ? Quid encore de l’efficacité des contre-mesures existantes face à l’arrivée prochaines de drones à navigation par Lidar, dépourvus de système de commandes centralisé et évoluant sans lien radio-fréquence actif ? En résumé, les constructeurs de solutions anti-drones souffrent des problématiques classiques d’un marché pionnier. Les enjeux opérationnels et technologiques sont clairement identifiés mais la viabilité des offres et des réponses apportées reste soumise à des variables économiques et juridiques de taille. Cependant, au vu de la dynamique du risque drone et de l’urgence d’intégrer cette brique dans les dispositifs de sûreté des sites sensibles, nul doute que les entraves à la naissance de ce marché seront vite levées. * source : Center for the Study of the Drone *** L’Ecole supérieure de la sûreté des entreprises a créé la première formation consacrée au « Risque drone » afin d’aider les directions d’OIV et de sites sensibles à comprendre la nature des risques posés par l’emploi malveillant des drones et à connaître l’état de l’art des contre-mesures existantes. Retrouvez tous les articles de notre saga sur les solutions anti-drones : – Solutions anti-drones #1 : Le risque drone, une nouvelle menace proliférante – Solutions anti-drones #2 : Quelles technologies de détection et de contre-mesures ? – Solutions anti-drones #4 : Comment contrer le risque drone ? Facebook Twitter LinkedIn
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