Les applications mobiles à destination des citoyens et dédiées à la sécurité se multiplient en France. Lutter contre le harcèlement de rue, les violences conjugales, converser avec les forces de l’ordre : elles visent plusieurs objectifs. Mais certaines d’entre elles créent la controverse au Royaume-Uni et aux États-Unis.

« Ma Sécurité », l’application qui connecte avec les forces de l’ordre 

« Ma Sécurité »: c’est la dernière née des applications de sécurité en France. Lancée par le ministère de l’Intérieur le 7 mars 2022, elle entend rapprocher les usagères et usagers et les forces de l’ordre. Elle permet aux intéressés de contacter exclusivement la gendarmerie et la police nationale. 

Smartphone en main, les particuliers disposent d’une kyrielle d’options : accès aux services de pré-plainte et de signalement en ligne, aux numéros d’urgence, aux actualités et notifications locales de sécurité, à des conseils de prévention sur plusieurs thématiques. Mais aussi à une cartographie des points d’accueil, des commissariats et des brigades de gendarmerie à proximité, avec leurs coordonnées et horaires d’ouverture. 

Innovation la plus notable de « Ma Sécurité » : la possibilité d’être mis en relation avec un gendarme ou un policier via un tchat 24h/24 et 7j/7. Directement dans l’application, il est possible de signaler des événements dont un utilisateur aurait été victime ou témoin dans son environnement immédiat. Avec ce service de messagerie instantanée, « Ma Sécurité » souhaite tout particulièrement s’adresser aux victimes de violences conjugales et intra-familiales. Partant du principe qu’il serait supposément plus aisé de converser à l’écrit dans une application que de passer un appel vocal. 

Proximité, instantanéité, discrétion, simplicité : le recours à une application mobile devient un nouveau canal privilégié pour alerter et signaler des faits. D’ailleurs, « Ma Sécurité » embarque également la plateforme de signalement des points de deal lancée début 2021, à l’origine de plus de 10 000 signalements depuis sa création.

Harcèlement de rue et violences conjugales dans le champ des applications 

En France, « Ma Sécurité » vient compléter une offre déjà bien fournie en applications de prévention et protection. Notamment dans les domaines du harcèlement de rue et de la lutte contre les violences conjugales. 

Par exemple, App-Elles permet de signaler une situation de danger et/ou de violence, d’alerter et de contacter rapidement des proches, les services de secours, les associations et toutes les aides disponibles à proximité. Avec ICE GeoAlert, en cas d’urgence, la personne peut alerter ses proches ou ses amis, en étant géolocalisée. 

De son côté, la ville d’Ivry-sur-Seine expérimente depuis avril 2021 l’application « Garde ton corps ». Celle-ci vise à sécuriser les déplacements extérieurs en signalant facilement un danger éventuel à des contacts de confiance. Elle indique aussi des « safe places », lieux sécurisés proches. Avec l’une des fonctionnalités, les utilisatrices et utilisateurs signalent les lieux où ils ont été en insécurité dans la commune, données transmises directement à la municipalité.

Autre application de sécurité dans ce domaine : Street-Alert. Elle s’adresse aux personnes (des femmes majoritairement) qui, dans la rue, se sentent en danger par la présence d’un individu potentiellement malveillant, sont suivies ou harcelées. Sur le principe de la solidarité et grâce à la géolocalisation, d’autres utilisateurs et utilisatrices inscrits sur Street-Alert et présents à proximité peuvent se porter à son secours ou appeler les forces de l’ordre.

Mais ce type d’outil ne serait pourtant pas sans danger. Certains agresseurs pourraient en effet télécharger ces applis pour disposer de la localisation d’une personne vulnérable.

Des usages controversés au Royaume-Uni et aux États-Unis

Si les applications de sécurité partent de bonnes intentions, elles suscitent parfois des interrogations, voire des controverses. 

Outre-Manche, l’application « Speedcam Anywhere » lancée en avril 2022 agite les Britanniques. Son principe : basée sur un système d’intelligence artificielle, elle est capable de mesurer la vitesse des autres véhicules. Il suffit à l’utilisatrice ou à l’utilisateur de l’appli de filmer un véhicule pour que le dispositif bourré d’algorithmes calcule sa vitesse. Il peut ensuite transmettre la vidéo (avec la plaque d’immatriculation) aux autorités. Shocking pour bon nombre de sujets de sa Majesté ! 

Mais l’application qui cristallise le plus de questions, si ce n’est de franches réprobations, est très certainement Citizen, développée aux États-Unis depuis 2016. La start-up à l’origine de ce service a multiplié les moutures. À ses débuts, Citizen permettait de signaler un individu suspect. La communauté était alors encouragée à agir en groupe pour résoudre le problème. Une sorte de police populaire en temps réel… 

Face au risque de « justice populaire », Apple retire alors l’application de son magasin d’applications. Citizen revoit sa copie et revient quelques mois plus tard. L’application reste aujourd’hui alimentée par les informations des utilisateurs et utilisatrices, et par le scan des conversations des services de secours de 60 villes américaines. Tous les incidents figurent sur une carte en temps réel, et les utilisateurs sont informés instantanément. Parmi les faits reportés : crimes, agressions, bagarres, vols, hold-up, feux, fumées, fuites de gaz, colis suspects, courses-poursuites en cours, présence policière sur un site…

Depuis 2016, 10 milliards d’alertes ont été envoyées, et quelque 10 millions d’Américaines et d’Américains suivent les interventions de la police autour d’eux.

Mais selon les détracteurs de l’application, les écueils sont nombreux : appréciation erronée des situations, interférences dangereuses dans des interventions et/ou enquêtes en cours, risque de fausses accusations envers des individus, auquel il faut ajouter le biais racial.

Cette application est également accusée d’alimenter un fort sentiment d’insécurité chez des utilisateurs et utilisatrices sur le qui-vive en permanence. 

Vers une sécurité privée à la demande ? 

Par ailleurs, plusieurs médias d’investigation américains soupçonnent Citizen de vouloir aller beaucoup plus loin. Selon eux, la start-up aurait noué des partenariats avec plusieurs entreprises de sécurité privée, notamment dans les villes de Chicago et Los Angeles. Elle y testerait un nouveau modèle : un « Uber » de la sécurité privée.

Le principe : déployer des employés de sécurité privée en patrouille sur des lieux signalés par les utilisateurs de Citizen. D’après les opposants à l’application, le but serait de créer un service secondaire de la réponse d’urgence privée. Une sorte de police « parallèle ».

De quoi alimenter le flou, et brouiller les cartes entre forces de l’ordre publiques et agents privés. Lesquels ne seraient pas nécessairement formés à faire face à toutes les situations. 

Citizen n’a sans doute pas fini de faire parler d’elle. 

Depuis 2016, l’application Citizen a généré 10 milliards d’alertes envoyées, et quelque 10 millions d’Américaines et d’Américains suivent les interventions de la police autour d’eux.

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