Dans la bataille contre la corruption, les États-Unis ont l’habitude d’infliger des amendes records, ou de négocier des accords faramineux avec des entreprises étrangères. Adoptée en 2016, la loi Sapin II veut faire entrer la France dans ce même projet de lutte contre la corruption à l’échelle internationale. Elle met ainsi en place une agence anticorruption, et élève le niveau des normes de conformité. Mais c’est aussi l’occasion d’entrer en concurrence avec les Américains, et leur politique anticorruption.

La fraude représente un véritable fléau pour le commerce mondial. En France, la loi Sapin II redouble les efforts dans la lutte contre la corruption des entreprises. Elle prévoit à cet effet plusieurs dispositions : 

  • la création, dès 2016, d’une Agence française anticorruption, 
  • la mise en place d’une obligation pour les entreprises condamnées pour corruption ou trafic d’influence de se mettre en conformité (comme dans le système américain). 

Mais elle entend aussi lutter contre un autre phénomène : la domination des États-Unis dans le combat contre la fraude internationale.

Alstom, BNP Paribas, Total… On ne cite plus les entreprises françaises poursuivies par la justice américaine, ces dernières années. Que ce soit pour des affaires de corruption (Alstom), ou de non-respect d’un embargo (BNP Paribas). Comment se fait-il que des entreprises françaises puissent être ainsi poursuivies par la justice américaine, et amenées à verser des sommes colossales qui vont directement dans le porte-monnaie américain ? 

Repenser l’extraterritorialité

L’extraterritorialité du droit américain a permis aux États-Unis d’infliger plus de 20 milliards d’euros d’amende (d’après une enquête de France Info) à des entreprises européennes. Cette extraterritorialité de leurs lois permet aux Américains de poursuivre une entreprise étrangère, installée à l’étranger, et qui traite avec des étrangers. Et ce, dès lors qu’une composante de la chaîne commerciale ou de productivité est américaine : transactions en dollars, usage d’iPhone, de logiciels américains, etc. Autant dire que le champ est large, et que la première puissance mondiale peut poursuivre à peu près n’importe quelle entreprise. 
Cette toute-puissance judiciaire américaine interroge. D’autant plus, quand on sait que la justice n’est pas la seule chose que les Américains veulent obtenir. Leurs procédures leur permettent aussi de mettre leur nez dans les affaires d’entreprises qui ont à voir avec des domaines souverains (la branche énergie d’Alstom rachetée par General Electrics après l’enquête américaine sur l’entreprise), d’exercer des pressions – chose qu’ils réfutent –, mais aussi d’exercer un monitoring (une surveillance) sur les entreprises qui doivent se mettre aux normes américaines. Or, entre le monitoring et l’espionnage industriel, il n’y a qu’un pas que les Américains ne sauraient ignorer, comme l’a expliqué en 2018 Claude Revel, ancienne déléguée interministérielle à l’Intelligence économique, au micro de France Inter : “(Le) moniteur a accès à toutes les informations de l’entreprise. Il doit faire un rapport chaque année au ministère de la Justice américain. Or, comme je l’ai constaté, ce rapport peut contenir des informations confidentielles. C’est extrêmement fâcheux”. Que pouvait alors faire la France face à ce type de situation ? Pas grand-chose, jusqu’à la loi Sapin II de 2016.

La loi Sapin II et la convention judiciaire d’intérêt public

La loi Sapin II introduit un principe d’extraterritorialité pour poursuivre des entreprises ou des personnes étrangères (sous réserve qu’elles vivent en France, ou qu’une partie de leurs activités économiques se basent dans l’Hexagone), mais aussi et surtout la possibilité de nouer une convention judiciaire d’intérêt public. 

C’est avec cette dernière innovation que la France joue le même jeu que les États-Unis, et offre une marge de manœuvre aux entreprises menacées par la justice américaine. Si une entreprise est poursuivie pour corruption, elle peut négocier une convention judiciaire d’intérêt public avec les autorités françaises pour éviter le procès. Une fois l’accord signé, il détient une portée extraterritoriale. L’entreprise ne peut plus être poursuivie pour les mêmes faits, et peut obtenir l’abandon des poursuites d’autorités étrangères.

L’affaire Airbus démontre une nouvelle dynamique anticorruption en France.

L’affaire Airbus

En janvier 2020, la première grande affaire à être jugée selon ces nouveaux principes a fait grand bruit. Airbus était ainsi condamné à verser 2,1 milliards d’euros au Trésor public français. “L’affaire Airbus démontre une nouvelle dynamique anticorruption en France”, estime ainsi le Financial Times. Pour la première fois, le pays arrive à condamner une grande entreprise pour corruption. Même si Paris est loin d’être en situation d’hégémonie, puisqu’Airbus a aussi dû verser 990 millions d’euros au Royaume-Uni, et 540 millions d’euros aux États-Unis. Une stratégie que semblent désormais adopter nombre de grandes entreprises. Ainsi, dans une autre affaire, Rolls-Royce avait suivi la même démarche en 2017 avec les autorités brésiliennes, britanniques et américaines.

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