Voir l’invisible et déceler l’indétectable afin d’avoir toujours un temps d’avance. Les nouvelles technologies ouvrent des perspectives inédites pour limiter les risques et améliorer l’entretien des ouvrages d’art. Revue de détail.

Quand la France découvre ses colosses aux pieds d’argile

Le 14 août 2018, les images font le tour du monde. Le pont Morandi, à Gênes, se rompt brutalement, entraînant dans sa chute des dizaines de véhicules dans le vide et provoquant la mort de 43 personnes.

Cette catastrophe jette alors une lumière crue sur l’état des ponts et viaducs en Europe, et notamment en France. Car dans le même temps, ressurgit un rapport alarmant édité peu avant le drame, en juillet 2018. Il indique notamment que sur les 12 000 ponts français dont l’État a la gestion, un tiers (soit 4 000), nécessiteraient des réparations d’ici 2035. 

25000

ponts en mauvais état structurel en France

Dans la foulée de l’effondrement du viaduc italien, le Sénat français lance une mission d’information sur l’état des ponts en France. Le verdict tombe en juin 2019 : « au moins 25 000 ponts sont en mauvais état structurel ». Le tableau est sombre,  que les édifices soient gérés directement par l’État, ou par les collectivités locales et territoriales.

Un appel à projets pour tester les solutions les plus innovantes

Signe d’une prise de conscience, les autorités ont débloqué en décembre 2020, dans le cadre du plan France Relance, 40 millions d’euros à destination des petites collectivités pour les aider à cartographier et diagnostiquer les ouvrages nécessitant une intervention. Mais les ambitions ne s’arrêtent pas là.

Et si, avec les nouvelles technologies, on pouvait aller encore plus loin pour garder les ouvrages à l’œil ? C’est en somme l’idée d’un appel à projets national « Ponts connectés » lancé en décembre 2020 par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et le ministère des Transports. Objectif : « penser autrement » la surveillance des ponts en utilisant « les dernières innovations en matière d’instrumentation, télécommunication, traitement de données et intelligence artificielle (…) en complément des méthodes classiques d’inspections visuelles ».

Capteurs, réalité augmentée et algorithmes au secours des ouvrages

Dix-sept projets ont été retenus en avril 2021. Ceux-ci font la part belle aux capteurs autonomes – sans câblage des ouvrages – ainsi qu’à l’intelligence artificielle et à la réalité augmentée. Il s’agit d’être les yeux et les oreilles des exploitants des ouvrages. De premières expérimentations, en situation réelle, interviendront ainsi d’ici 2023 pour confirmer l’intérêt des solutions proposées par les lauréats.

Les ponts entrent dans une ère high-tech, dès leur phase de construction.

Bienvenue dans la nouvelle ère de la maintenance prédictive. L’objectif est celui de la réactivité, pour un meilleur entretien. « Ponts connectés » est un véritable inventaire à la Prévert de ce qui pourrait bien révolutionner, demain, les usages en matière de surveillance et de détection : 

  • Des capteurs autonomes et intelligents pour déceler la corrosion des haubans et des câbles, pour détecter des désordres structurels, ou encore pour quantifier en temps réel les charges trop importantes susceptibles de fragiliser les ouvrages.
  • Des capteurs connectés innovants à même d’identifier certains comportements d’un ouvrage caractéristiques d’un choc entre un véhicule routier et les piliers. 
  • Des radars à ondes électromagnétiques pour mettre au jour des pathologies du béton.
  • Des capteurs acoustiques couplés à des algorithmes d’intelligence artificielle qui analysent les signaux sonores indiquant l’endommagement des joints de chaussée.
  • Une solution d’imagerie par réalité augmentée et intelligence artificielle capable de fournir une photographie précise des défauts présents sur les ouvrages d’art, principalement métalliques.
  • Un système de détection des surcharges de poids lourds grâce à un outil de lecture automatique des plaques d’immatriculation. 

Entreprises et start-up françaises déjà… sur le pont 

Si l’appel à projets « Ponts connectés » ambitionne de passer un cran au-dessus, certaines technologies sont employées depuis plusieurs années pour inspecter ponts et viaducs. Des drones bourrés d’algorithmes volent déjà aux abords de certains ouvrages. La start-up Roav7 dispose ainsi d’une flotte dévolue à l’inspection, équipée d’appareils photo haute résolution couplés à des algorithmes. Fissures, infiltrations d’eau, corrosion, déformations : rien n’est censé leur échapper. 

Le pont de l’île de Ré, qui a connu une rupture de câble en 2018, est désormais équipé d’un système d’inspection de l’état de ses câbles innovant, développé par une entreprise française. Plusieurs technologies sont ainsi combinées : capteurs électriques, électromagnétiques, à fibre optique, capteurs acoustiques et ultrasons, mesures radar et laser, ainsi que des mesures par satellite. 

Française également, la start-up grenobloise Morphosense met au point des capteurs de haute précision associés à des algorithmes pour estimer la déformation et les vibrations anormales qui peuvent affecter une structure.

Le pont San Giorgio, l’exemple italien

Lui aussi est bardé de solutions technologiques nouvelle génération à même d’assurer sa surveillance drastique en surface comme à l’intérieur. Les Italiens n’ont, en effet, pas lésiné, et réussi la prouesse d’ériger le nouveau pont San Giorgio à Gênes (en lieu et place du pont effondré Morandi) en moins de deux ans. 

Des caméras ont la circulation dans le viseur, et lisent les plaques d’immatriculation de véhicules volumineux. Des caméras connectées à des capteurs intégrés à la chaussée (pour enregistrer le passage des poids lourds) envoient les données à un serveur qui analyse la situation en temps réel. Ainsi, il devient possible de corréler les déformations structurelles au poids des véhicules, afin de prévoir au mieux les interventions. Signe que l’anticipation est la meilleure des alliées en matière de sécurité. 

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