Stéphane Morelli est responsable de la conformité et des relations publiques d’Azur Drones, entreprise créée en 2012 et aujourd’hui leader européen du drone autonome. Pour Rendre notre monde + sûr, il dresse un premier état des lieux de ce marché, face à la crise sanitaire et aux prochains défis réglementaires.

Diriez-vous que la crise sanitaire actuelle a ralenti la croissance du marché des drones au service de la sécurité ?

Stéphane Morelli : Il faudrait au préalable distinguer trois sous-secteurs sur le marché des drones au service de la sécurité. Dans un premier temps, les petits drones (moins de 2 kg) qui aident les agents lors des patrouilles ou durant leurs interventions. La réglementation (qu’elle concerne la sécurité aérienne, ou les données à caractère personnel) ne permet pas encore de les déployer à grande échelle, mais la situation devrait favorablement évoluer à court-moyen terme du fait du fort besoin opérationnel.

Dans le cadre de la sécurité événementielle, il existe également des drones capables de surveiller des zones précises. Ce secteur est évidemment fortement affecté par la crise sanitaire. Par exemple, le festival de Cannes, prévu initialement en mai 2020 et annulé, avait prévu de recourir à des drones pour surveiller le palais des Festivals notamment. Toutefois, il reste plusieurs lueurs d’espoirs pour les professionnels du secteur. La Coupe du monde de rugby de 2023 et les Jeux olympiques de Paris en 2024 pourront, en effet, devenir d’importants tremplins pour ce type de drones.

Enfin, le troisième secteur est celui des drones utilisés pour sécuriser les sites sensibles (centrales nucléaires, sites Seveso, zones militaires, entrepôts avec des biens de valeur, etc.). Dans ce domaine, la crise sanitaire a eu un impact plutôt positif  : d’une part, protéger ce type d’installation est tout autant nécessaire, pandémie ou pas, et d’autre part, la moindre disponibilité des agents (garde d’enfants, quarantaine…) a mis en avant l’intérêt de l’automatisation de certaines tâches. En outre, cette technologie connaît une véritable croissance due à la maturité qu’elle atteint aujourd’hui. Les drones sont aujourd’hui de plus en plus autonomes, capables d’effectuer automatiquement, et en toute sécurité, des patrouilles, des levées de doute ou des missions de surveillance. Nous avons véritablement passé la phase d’exploration pour ces drones automatisés : chez Azur Drones, nous avons déployé ces solutions sur plusieurs sites sensibles et les appareils peuvent être utilisés 10 à 20 fois par jour.

Nous avons véritablement passé la phase d’exploration pour les drones automatisés.

Quel rôle a joué la réglementation dans l’évolution récente du marché des drones au service de la sécurité ? 

La réglementation a été un réel facteur de croissance depuis 2012. Par exemple, nous avons obtenu en 2019 que nos drones automatisés puissent voler hors de la vue d’un agent de sécurité ne répondant pas aux exigences réglementaires de certification des télépilotes de drones. Cette autorisation est sur le point d’être transférée au niveau européen, ce qui va rapidement nous ouvrir de nouveaux marchés sur le continent. De manière générale, le secteur des drones connaît des évolutions législatives tous les deux ou trois ans : les législateurs ont bien compris les opportunités de cette technologie puisqu’elle s’est avérée sans danger particulier depuis son émergence (pas de victimes à déplorer en 10 ans de pratique au niveau mondial).

Cette rapidité des évolutions législatives s’explique par l’accélération des transformations techniques de notre secteur. Par exemple, le poids des drones a considérablement diminué ces dernières années : en trois ans, les fabricants sont parvenus à diminuer le poids des appareils de moitié environ, et ce sans augmentation des coûts ni diminution des performances.

Si l’usage des drones paraît très encadré, c’est aussi à cause de leur utilisation par des délinquants ou des criminels. Comment ce problème est-il appréhendé aujourd’hui ?

Le problème des drones malveillants est une question encore difficile à appréhender. Pour le moment, il n’y a pas encore eu d’attaque ou d’attentat à l’aide de drones en France, mais c’est arrivé dans d’autres pays, ce qui constitue forcément une menace qu’il faut contrôler et dont nous sommes toutes et tous conscients. C’est un vrai sujet de discussion mais les solutions sont loin d’être évidentes. Il existe actuellement plusieurs niveaux de contrôle.

  • La prévention : Depuis 2016, une loi française a imposé que chaque drone émette un signal électronique et lumineux. Cela permet de faire un tri rapide entre les drones identifiables et ceux non identifiables, et donc potentiellement malveillants. 
  • L’interdiction : Des dispositifs de détection des drones sont en place pour repérer voire neutraliser les drones dans certaines zones comme les aéroports. Malgré tout, il reste difficile de repérer les appareils, même avec des caméras très sensibles, la principale difficulté étant qu’un drone est très léger et émet peu de signaux. De ce fait, sa détection intervient tardivement, ce qui rend d’autant plus difficile l’intervention sur ce type de menace.
  • La neutralisation : C’est le point le plus complexe actuellement. La méthode la plus simple à mettre en œuvre – bien que peu sécurisée – reste actuellement le fusil à pompe (qui confère une très courte portée à la neutralisation). Une neutralisation plus « douce », via un brouillage électromagnétique est également proposée, mais elle reste dépendante d’une connaissance précise du spectre de fonctionnement des drones à neutraliser.

Globalement, tous les dispositifs qui visent à détecter ou à neutraliser les drones dans certaines zones apportent une réponse souvent incomplète au besoin exprimé. Lorsqu’ils ont fait leurs  preuves, ils demeurent très coûteux et la question se pose : est-il vraiment intéressant de déployer un système de reconnaissance des drones à plusieurs millions d’euros pour repérer plus vite un objet coûtant quelques centaines d’euros ?

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