Alors que le recours à la vidéosurveillance intelligente dans l’espace public soulève des interrogations quant au respect des libertés fondamentales des individus, les autorités viennent d’indiquer qu’elle ne serait utilisée que de façon restreinte lors des JO de Paris 2024. Elles n’y ont finalement pas eu recours lors de la Coupe du monde de rugby à l’automne 2023. Une limitation qui fait écho à l’AI Act, scellé en décembre 2023 par les pays membres de l’UE et qui vient notamment encadrer l’usage de la vidéosurveillance algorithmique dans le domaine sécuritaire. Explications. 

La vidéosurveillance assistée par intelligence artificielle : un dispositif qui fait débat

La vidéosurveillance intelligente, aussi connue sous le nom de vidéosurveillance algorithmique, s’appuie sur l’intelligence artificielle pour traiter de grandes quantités d’images afin d’en extraire les informations voulues. Une technologie à l’efficacité éprouvée, dont le recours dans l’espace public fait pourtant débat.
La raison ? Les potentiels abus et atteintes aux libertés fondamentales des individus qui pourraient découler de son utilisation.

Le fonctionnement de la vidéosurveillance intelligente

La vidéosurveillance intelligente repose sur l’intégration de technologies avancées d’intelligence artificielle (IA) et de machine learning (compétence d’apprentissage des machines grâce à l’IA) dans les systèmes de caméras de surveillance traditionnels. Ces technologies permettent d’analyser en temps réel les flux vidéo pour détecter des comportements anormaux ou suspects.
Le processus commence par la capture d’images par les caméras, qui sont ensuite transmises à un logiciel d’analyse doté d’algorithmes de traitement d’image sophistiqués. Ces algorithmes sont capables de reconnaître des motifs et des mouvements spécifiques, tels que des mouvements de foule anormaux, des objets abandonnés, ou des comportements suspects.

Grâce à l’intelligence artificielle, le système peut apprendre à partir des vastes ensembles de données qu’il accumule pour améliorer continuellement sa précision et réduire les erreurs. Par exemple, il peut distinguer entre un sac laissé temporairement et un colis potentiellement dangereux.

Une fois une menace potentielle détectée, le système alerte les opérateurs humains via des notifications en temps réel, leur permettant de réagir rapidement et efficacement. Cette interaction entre l’IA et l’humain maximise la sécurité, tout en optimisant l’efficacité du système de surveillance. En résumé, la vidéosurveillance intelligente combine l’acquisition d’images, le traitement en temps réel, l’analyse de données et l’apprentissage automatique pour offrir une solution de sécurité proactive et réactive.

Des risques d’abus ?

Certaines des fonctionnalités de ces dispositifs de vidéosurveillance intelligente reposent sur l’analyse de données biométriques (caractéristiques physiques ou biologiques propres à chaque individu et permettant de l’identifier formellement). Ce qui, en plus d’être invasif et de porter atteinte au respect de la vie privée des citoyens, peut conduire à des identifications de profils selon des critères discriminants.

Comme tous les outils, la vidéosurveillance intelligente est ce qu’on en fait. Ses opposants craignent qu’elle n’engendre une surveillance injustifiée et disproportionnée dans l’espace public, au détriment des droits fondamentaux et des libertés. Un débat qui gagne en importance à mesure que les JO approchent.

La vidéosurveillance intelligente encadrée par la loi olympique de 2023

Au printemps 2023, les discussions au Parlement sur certaines dispositions de la future loi olympique sont particulièrement âpres. Notamment en ce qui concerne le volet sécuritaire. La vidéosurveillance intelligente fait alors beaucoup parler d’elle. Comment sera-t-elle utilisée ? Y aura-t-il des garde-fous ? Lesquels ?À son adoption, la loi du 19 mai 2023 relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 comporte bel et bien une mesure autorisant l’expérimentation de la vidéosurveillance intelligente, jusqu’au 31 mars 2025. La technologie vise à assurer la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles particulièrement exposées à des risques.

Capables de détecter en temps réel des mouvements de foule, des colis ou bagages abandonnés, des véhicules stationnés dans des zones non-autorisées, des départs de feu, des présences suspectes d’individus aux abords de sites accueillant des manifestations (stades, enceintes sportives), ou dans les transports en commun, les caméras dopées par l’intelligence artificielle sont perçues par certains comme l’avenir de la vidéosurveillance. 

Un outil polyvalent et efficace, mais qui peut également s’avérer invasif. Pour limiter son éventuel potentiel abusif, la loi confirme aussi l’interdiction des techniques d’identification biométrique (reconnaissance faciale) dans l’espace public. 

Une utilisation a priori limitée lors des Jeux Olympiques de Paris 

La Coupe du monde de rugby, organisée du 8 septembre au 28 octobre 2023, semblait constituer un laboratoire idéal pour étrenner les techniques de vidéosurveillance algorithmique. Il n’en sera finalement rien. C’est notamment ce qu’a révélé le délégué interministériel aux Jeux, Michel Cadot, le 17 janvier 2024 devant la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. Seuls quelques événements, dont un match à Marseille, auraient pour l’heure fait office de test. 

Une démarche déjà en passe d’être abandonnée ? Pas du tout : récemment, le ministère de l’Intérieur a attribué à quatre entreprises le marché public de la vidéosurveillance algorithmique des Jeux Olympiques de Paris.

Toutefois, Michel Cadot a relativisé le recours futur aux caméras intelligentes dans le cadre de l’événement. Selon lui, elles devraient être essentiellement utilisées « dans des zones de forte densité, par exemple dans le centre de Paris autour des sites, […] là où il y aura des probabilités de rassemblement de population en nombre ». L’objectif étant de « permettre d’identifier des colis abandonnés, des voitures stationnées où ce n’est pas autorisé… et d’aller vérifier ». Le tout, sans recours à la reconnaissance faciale. Une approche qui semble s’aligner avec la perception de la question qui domine au sein de l’Union européenne. 

Les caméras intelligentes devraient être essentiellement utilisées dans des zones de forte densité, par exemple dans le centre de Paris, autour des sites.

Michel Cadot, délégué interministériel aux JO, 17 janvier 2024

Les premiers tests de vidéosurveillance intelligente déjà réalisés dans la perspective des JO

À quelques semaines des Jeux olympiques, les premiers tests des dispositifs de vidéosurveillance intelligente qui seront utilisés durant la compétition ont déjà été réalisés. En avril dernier, trois concerts et un match de football ont en effet été l’occasion d’évaluer l’efficacité de ces systèmes de sécurité en conditions réelles. Ils ont été déployés dans les gares desservies à proximité des lieux des événements. Résultats ? Un premier bilan contrasté. 

SNCF et RATP ont en effet souligné l’apport intéressant de la vidéosurveillance intelligente dans les cas de détections de personnes suspectes ou de mouvements de foule potentiellement dangereux, mais sont plus mitigées quant à l’analyse des objets abandonnés.

Les tests se poursuivront à l’occasion de Roland Garros, du 26 mai au 9 juin.  

L’usage de la reconnaissance faciale par vidéosurveillance restreint dans l’espace européen

Le 8 décembre 2023, les États membres de l’UE et le Parlement européen se sont mis d’accord sur un texte encadrant l’utilisation et le développement de l’intelligence artificielle dans différents secteurs d’activité. Dont la sécurité. Intitulé l’AI Act, il constitue une législation inédite à l’échelle mondiale.

Dans le champ sécuritaire, plusieurs interdictions ont été consacrées. Parmi elles, l’impossibilité d’utiliser des technologies récupérant des images de visages sur Internet ou issus des images de vidéosurveillance, dans le but de créer des bases de données de reconnaissance faciale. Une restriction de principe qui marque une prise en considération des dangers de la vidéosurveillance pour les droits des individus. 

Une exception toutefois : le recours à la reconnaissance biométrique en temps réel dans l’espace public reste partiellement possible pour les forces de l’ordre. Cette utilisation ne sera envisageable que dans des cas bien spécifiques et sera drastiquement encadrée. Selon l’accord européen, les forces de l’ordre ne pourront l’utiliser qu’après « une autorisation de la justice » et pour « une liste de crimes strictement définis ». 

Les cas de figure concernés ? La recherche de victimes d’enlèvement, d’exploitation sexuelle ou de trafic d’êtres humains, ou encore la traque de personnes soupçonnées d’avoir commis de graves crimes, tels que des meurtres, des viols, des crimes environnementaux ou des actes de terrorisme. 

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