Les lois changent, et les technologies progressent pour mieux détecter la fraude ou la corruption en entreprise. Mais qu’en est-il des mentalités ? La dernière enquête du cabinet d’audit financier et de conseil EY dresse un constat alarmant : malgré les évolutions dans le domaine, les mentalités ne semblent pas évoluer. Décryptage.

Le constat fait froid dans le dos. La dernière enquête mondiale du cabinet d’audit financier et de conseil EY montre que la fraude et la corruption ne faiblissent pas au sein des entreprises. « Les pays ayant mis en place des réglementations pour lutter contre la fraude et la corruption sont de plus en plus nombreux. La France n’est plus en reste, avec la loi Sapin 2, en vigueur depuis juin 2017. (…) Mais le chemin à parcourir reste encore long », analyse Antoinette Gutierrez-Crespin, associée chez EY France au sein du département Fraud Investigation & Dispute Services, dans un communiqué de presse de l’organisation publié en février 2019.

Le chemin à parcourir reste encore long.

Ainsi, 11 % des sociétés interrogées affirment que la corruption reste une pratique courante dans leur secteur d’activité pour remporter des contrats. Concrètement, ces comportements prennent différentes formes, comme les pots-de-vin, les falsifications de données, l’extorsion ou le détournement de fonds. Autre motif d’inquiétude : même parmi les nouvelles générations (moins de 35 ans), 1 personne sur 5 estime que les paiements en espèces entre les entreprises sont normaux. Il s’agit pourtant d’une des premières pratiques qui favorisent les fraudes. Pour les spécialistes d’EY, la raison de cette stagnation des comportements est claire : la plupart des secteurs sont face à une accentuation de la concurrence. La pression pour gagner des parts des marchés et croître se fait donc ressentir à tous les échelons des organisations. Quitte à tricher pour atteindre ces objectifs, en proposant des pots-de-vin pour décrocher des contrats publics, par exemple.

Une inconscience qui a un coût

Pourtant, les fraudes causées par les entreprises ont des conséquences non négligeables. Financières d’abord, puisque, selon l’association américaine des auditeurs de fraude (AFCE), les entreprises perdent en moyenne 5 % de leur chiffre d’affaires à cause de fraudes commises en leur sein. Le constructeur automobile Volkswagen est bien placé pour le savoir. Suite au scandale du “dieselgate” pour lequel l’entreprise a été reconnue coupable de fausser les tests d’homologation de certains véhicules, la firme aura à régler plus de 30 milliards de dollars, selon l’agence de presse Reuters. Et c’est sans parler des dégâts causés sur l’image et la réputation des sociétés impliquées. L’AFCE affirme même, sans le chiffrer, que la découverte d’une fraude au sein d’une entreprise peut entraîner une fuite des talents, ainsi qu’une baisse de motivation et de productivité. Les collaborateurs et collaboratrices seraient en effet découragés par les actions de leur société. Une réalité dont les entreprises du monde semblent avoir conscience, puisqu’elles sont 97 % à déclarer aux sondeurs d’EY qu’il est fondamental que leur entreprise agisse avec intégrité. Un paradoxe alors que les comportements, quant à eux, n’évoluent pas.


La France sévère face aux fraudeurs au sein des entreprises
Selon le cabinet PwC, les entreprises françaises sont parmi les plus sévères à l’égard des collaborateurs ou des collaboratrices coupables de fraude. 86 % licencient l’impétrant, contre 79 % dans le reste du monde. Et six entreprises françaises sur dix engagent même des poursuites pénales, contre moins de la moitié dans les autres pays.


D’où vient le problème ?

Autre paradoxe : un flou semble régner dans les entreprises quant à la responsabilité de la lutte contre la fraude. 40 % des répondants à l’enquête d’EY estiment qu’il s’agit d’un problème à régler par la direction et le management, et 22 % qu’il s’agit d’une responsabilité individuelle. 11 % estiment même que les ressources humaines ont un rôle à jouer. En somme, aucun consensus n’émerge clairement. Dommage, lorsque l’on sait que 60 % des cas de fraude sont dus à des comportements en interne, selon le cabinet PwC.

Face à cet enjeu, des solutions sont tout de même mises en place. En France, l’Agence de lutte contre la fraude à l’assurance (ALFA) a déployé un projet de plateforme soutenue par une intelligence artificielle qui permet d’industrialiser et d’affiner le traitement des alertes dans le domaine de la fraude à l’assurance sur la base d’une dizaine de scénarios-types. Néanmoins au regard de la lente évolution des mentalités, la bataille se gagnera sans doute davantage du côté de la prévention et de la formation.

Selon Georges-Henri Martin-Bricet, directeur du développement de l’Ecole supérieure de la sûreté des entreprises, seule école en France à desservir des certificats de compétences dans le domaine de la gestion du risque de fraude et de corruption : « Il y a quand même eu ces dernières années une prise de conscience importante de la part des entreprises sur le sujet de la lutte contre la fraude. Le principal enjeu est alors celui de la formation. Peu d’auditeurs, de contrôleurs et de responsables financiers, qui sont au cœur du dispositif théorique de la lutte antifraude, sont formés sur le sujet. » 

« Au niveau de l’organisation, poursuit Georges-Henri Martin-Bricet, l’autre enjeu est d’interfacer efficacement les systèmes de détection des fraudes avec l’analyse et l’investigation. Cette phase avancée requiert des compétences humaines poussées et le chantier de la formation reste vaste. Ce qui est clair, c’est qu’à la faveur de la 5e directive antiblanchiment de l’Union européenne, qui impose de nouvelles obligations aux secteurs de la banque et de l’assurance (notamment de motiver par l’analyse leurs déclarations de soupçons), les métiers de la lutte contre le crime financier sont promis à un très bel avenir. »

Les métiers de la lutte contre le crime financier sont promis à un très bel avenir.

Une donnée que le secteur de la sécurité privée semble avoir bien intégrée. Dans le département de l’Hérault, par exemple, les organisations professionnelles du secteur ont signé, en 2019, une convention pour lutter contre la fraude et le travail illégal dans leur activité. Cette convention prévoit notamment des outils d’information à destination de tous les décideurs. C’est dit : la bataille contre la fraude se gagnera d’abord grâce à la prévention.

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