Depuis plus d’un an, les gestionnaires de crise, comme les Français et les Françaises, cherchent à trouver la meilleure posture. Nous naviguons entre des périodes de confinement et des retours bien trop courts à un semblant de vie « normalisée ». Mais qu’avons-nous réellement appris en matière de gestion de crise, depuis un an de pandémie ? Lilian Laugerat, président de Solace et expert en gestion de crise, revient sur les enseignements, un an après. 

La crise du coronavirus dit-elle quelque chose de ce que nous sommes profondément ? Une chose est sûre : le premier constat que nous apporte cette période est que l’être humain, en ces temps inédits et déstabilisants, rencontre d’énormes difficultés à passer à la posture de l’autre soi qu’impose la gestion de crise. C’est-à-dire à mettre le bien des autres avant le sien. De nombreuses personnes ont préféré l’entre-soi, puis se sont réfugiées dans le repli sur soi. Or, cette crise nous demande à toutes et à tous de sortir de notre zone de confort. Et cela concerne en premier lieu les gestionnaires de crise.

Accepter la période de crise pour mieux agir 

Comme toute autre, la crise actuelle nous montre qu’il n’existe que trois façons d’appréhender ce type de défi : le déni, l’acceptation par dépit, et l’acceptation par l’action.

La logique de « deuil » nous apprend que lorsque la crise survient, nous devons passer par différentes étapes successives avant d’arriver à l’état d’acceptation. En d’autres mots, nous devons passer d’un état de sidération, suivi d’un déni, à un état rationnel ; alors que tout ce qui nous entoure n’est qu’émotionnel. 

Il ne peut y avoir d’acceptation complète que si nous changeons notre manière de voir ce qui nous entoure. La crise et la période dans laquelle elle survient nous enferment le plus souvent dans un effet tunnel : nous ne voyons alors que les risques immédiats et leurs causes. 

“La crise nous enferme le plus souvent dans un effet tunnel : nous ne voyons alors que les risques immédiats et leurs causes.”

Or, la gestion d’une période de crise ne peut pas s’attarder sur les causes. À trop vouloir les chercher, nous en oublions que les attendus concernent en premier lieu la gestion des conséquences. Mais plus que cela, à trop rester dans le carcan des plans, nous oublions également que toute chose a une limite, un seuil que nous nommerons le seuil d’acceptabilité. À trop s’arcbouter sur les fondations fragiles des plans conçus pour gérer un scénario, le manager des risques occulte une règle fondamentale : on ne peut pas gérer une crise avec des méthodes et une organisation prévues pour gérer un risque.

Gérer une crise, ou l’art de dépasser le niveau de risque

En effet, notre société se construit autour de concepts pour faire face à des situations généralement prévues à l’avance. C’est pourquoi nous nous retrouvons avec une longue liste de procédures utilisées au quotidien. Si une situation dépasse ces procédures, nous utilisons un plan bâti à partir d’un scénario dont les conséquences immédiates sont anticipées et les premiers intervenants rapidement mobilisés. Le gestionnaire de risques travaille donc inlassablement à l’amélioration de son plan, en pensant que celui-ci permettra de faire face à la future situation. Lorsque celle-ci survient, tout le monde se retourne alors vers le manager, qui sort son plan. 

La situation de crise nous apprend à chaque fois une chose importante : tout ce qui a été prévu ne fonctionne jamais comme nous le pensions. Et cela pour plusieurs raisons. 

La centrale de Fukushima, au Japon, exemple type du décalage entre les plans de gestion des risques et la réalité.

La première est simple à comprendre. Un plan est généralement élaboré en temps de « paix », et il correspond toujours à un niveau de connaissances plus ou moins actualisées. L’exemple à citer dans toutes les écoles de management des risques est la hauteur de la digue censée protéger la centrale nucléaire de Fukushima. Les analystes avaient prévu que si un tsunami se déroulait dans la région, la vague consécutive ferait une hauteur maximale de 10 mètres. Une digue de cette même hauteur fut construite. Le jour J, la vague fit 17 mètres.

La deuxième raison est liée au contexte. Lors de la rédaction d’un plan d’urgence, il est difficile d’anticiper le contexte futur pendant lequel surviendra le scénario. C’est pourquoi, lors de son apparition, un événement pourrait passer inaperçu ; alors que dans d’autres cas, il ferait le buzz sur les réseaux sociaux et donc sur les chaînes d’informations permanentes. 

La gestion de crise ou la perfection de l’imperfection 

Ce que nous constatons également, c’est que lorsque le scénario survient, le manager applique le plan prévu. Et même si ce plan ne permet pas de gérer le niveau de sévérité des impacts, le gestionnaire reste rivé à ce qui a été prévu, en oubliant les caractéristiques fondamentales de la crise et de sa gestion. La crise est – et restera toujours – une situation dont le niveau de sévérité des impacts est imprévisible. 

“Tout ce qui a été prévu n’est plus suffisant.”

Dans le contexte actuel, ces impacts aimantent un grand nombre de parties prenantes, qui émettent de plus en plus rapidement des attentes généralement inconnues lors de l’élaboration des plans. C’est pourquoi la gestion de crise nécessite l’élaboration de plans d’action, une implémentation rapide, et une perpétuelle adaptation en fonction de l’évolution du contexte et de l’efficacité des mesures prises. À la différence de la gestion d’un risque, il n’existe pas de réelles limites au périmètre d’intervention que les protagonistes doivent investir en période de crise. Cette nouvelle posture est avant tout dérogatoire. Cela signifie que tout ce qui a été prévu n’est plus suffisant, et qu’il faut inventer ce complément nécessaire pour atteindre un objectif final trop souvent ignoré : montrer que nous sommes capables de gérer cette nouvelle situation. Alors que certains cherchent à minimiser les risques, le gestionnaire de crise sait depuis longtemps qu’il s’engage pour une cause imparfaite, et non pas pour être considéré comme un sauveur, un héros. Il sait qu’il doit remettre de l’équilibre dans une équation qui a été modifiée, bousculée par un événement naturel, technique, industriel ou malveillant. 

Sortir de sa zone de confort, ou la théorie du « spaghetti cuit »

Pour faire face à une situation nouvelle, le gestionnaire de crise s’appuie sur deux piliers essentiels : l’acceptation et l’organisation. 

Alors que certains s’acharnent à utiliser leurs plans et leurs organisations habituelles pour gérer une crise, d’autres ont déjà depuis longtemps basculé dans une zone, certes mouvante, mais inévitable. Sortir de sa zone de confort impose un état d’esprit rompu à des réalités difficilement acceptables pour d’autres. Sans devenir obligatoirement un « monstre froid », le gestionnaire de crise bascule rapidement dans la rationalité à partir des faits, des analyses d’impacts immédiats et potentiels, et des attentes des parties prenantes. Son arme favorite est le plan d’action, celui qui permet d’agir pour relever le défi que lui impose la situation. 

Il sait également qu’il ne peut pas agir seul. Il a besoin d’une équipe autour de lui, dans le but de recueillir et d’analyser les informations, puis d’intégrer les évolutions dans le plan d’action. Cette équipe ne peut fonctionner que si elle sait où elle doit aller. Sans cap défini, elle sait qu’elle risque d’arriver ailleurs. 

Face à ces situations de plus en plus complexes, où les attentes des parties prenantes sont omniprésentes, les membres des cellules de crise, dont les degrés de formation et d’expérience sont extrêmement variés, doivent sortir de leur zone de confort. Cela s’apprend, se forge au travers des formations, des méthodes, des exercices et des retours d’expérience. 

Alors, posez-vous cette question. Combien de temps avez-vous passé à vous préparer à une situation de crise à partir de standards, de méthodes et d’outils éprouvés ? Plus ce temps sera faible, et plus vous serez face à une situation qui ressemble à un « spaghetti cuit », qui s’enroulera de plus en plus à force de le pousser, alors qu’il suffirait de le tirer dans la bonne direction. Mais cela, c’est une autre histoire.

Lire aussi : Comment la crise du coronavirus bouleverse la sécurité privée autour du monde

Lilian Laugerat

Président de Solace

Président de Solace, filiale du Groupe GORON, Lilian LAUGERAT dirige le cabinet de conseils SOLACE spécialisé dans l'analyse des risques sûreté et la posture de gestion de crise.

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