Pour innover plus vite et cibler plus facilement des marchés en France et à l’étranger, le GICAT (Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres) a créé GENERATE en 2017 à destination de start-up françaises. Pour RNM+S, François Mattens, directeur des affaires publiques et de l’innovation du GICAT et responsable de GENERATE, évoque les enjeux, le fonctionnement et le bilan de cet accélérateur pas comme les autres.

Pourquoi, en 2017, le GICAT décide-t-il de mettre en lien des entreprises innovantes avec des industries traditionnelles ? Ces acteurs ne se parlaient-ils pas ?

François Mattens

François Mattens : Au GICAT, une partie de notre métier est de mettre en relation les acteurs institutionnels et les industriels. Nous nous rendions compte qu’il y avait de plus en plus de petites structures dans notre écosystème, des start-up, qui voulaient cibler notre marché mais se confrontaient à un milieu cloisonné.

Nous nous rendions compte qu’il y avait de plus en plus de petites structures dans notre écosystème, des start-up, qui voulaient cibler notre marché mais se confrontaient à un milieu cloisonné. Nous nous sommes alors demandé comment mieux les accompagner et leur ouvrir des portes.

Nous étions également dans un contexte où, dans le civil, des secteurs comme le transport ou la santé commençaient à monter en puissance avec des entreprises innovantes. Alors, pourquoi pas nous ?

GENERATE est né de cette volonté d’offrir un point d’entrée à des start-up pour accéder au marché de la défense et de la sécurité. Le format de l’accélérateur nous a semblé alors le plus pertinent.

Dans le civil, des secteurs comme le transport ou la santé commençaient à monter en puissance avec des entreprises innovantes. Alors, pourquoi pas nous ?

François Mattens 

A-t-il été compliqué de convaincre les industries traditionnelles de l’utilité de créer ces passerelles ?

Nous avons bénéficié d’un contexte favorable, notamment avec l’élection d’Emmanuel Macron et son projet de « start-up nation ». Ensuite, avec l’arrivée de Florence Parly au ministère des Armées, cette dernière a fait de l’innovation l’une de ses priorités dès juin 2017.

L’innovation se fait aujourd’hui en partie dans les grands groupes et dans les PME, mais également dans les start-up.

François Mattens

J’avais poussé l’idée de GENERATE dès l’été 2016. Mais certaines appréhensions ont rapidement émergé, notamment sur le meilleur moyen de bien accompagner ce nouveau format d’entreprise, auquel les acteurs réguliers du monde de la défense n’étaient pas habitués. L’arrivée de la ministre a énormément accéléré les choses, avec la création de nombreux outils, notamment l’Agence de l’innovation de défense [elle coordonne et pilote la mise en œuvre des travaux d’innovation et de recherche scientifique et technique réalisés par les états-majors, directions et services du ministère, NDLR].

Pourquoi est-ce nécessaire de faire communiquer ces deux univers ?

L’innovation se fait aujourd’hui en partie dans les grands groupes et dans les PME, mais également dans les start-up. Celles-ci déploient de nouvelles méthodes de travail, ont une souplesse et une ouverture d’esprit particulières, du fait qu’elles travaillent bien souvent dans d’autres secteurs que celui de la défense. Elles arrivent avec des bonnes idées, des pratiques intéressantes. Rares sont les pure players de la défense.

L’objectif était vraiment de déployer des technologies que l’on n’avait pas, ou que l’on ne savait pas comment développer, en créant des synergies constructives avec des start-up.

On pourrait penser que les grands industriels du secteur sont déjà bien parés en matière de nouvelles technologies et d’innovation. Quelle valeur ajoutée voyez-vous dans le travail des start-up ?

Ce besoin d’innovation a été identifié par l’accélération des menaces, et la volonté politique de trouver des solutions à cet enjeu. Les cycles de R&D de la défense et de la sécurité aujourd’hui ne sont plus forcément adaptés à la temporalité des crises et des menaces. Face à une menace identifiée, on ne peut plus se permettre de prendre dix ans pour trouver une solution. D’où l’intérêt d’avoir une innovation plus réactive, qui ne vient pas des grands groupes, mais des start-up. Elles apportent une agilité, une capacité à penser différemment et à innover rapidement, là où des grands groupes ne sont pas forcément organisés en ce sens.

Qu’attendez-vous des start-up que vous accompagnez ?

Le secteur a des besoins sur deux aspects. Nous sommes intéressés par des start-up qui arrivent avec des solutions qui sortent de nulle part, et que l’on n’avait pas vues arriver, comme Franky Zapata avec sa plateforme volante, ou encore Préligens.

D’autres start-up peuvent apporter des briques technologiques pour compléter un dispositif qui existe, ou pour accélérer un processus.

Les solutions des start-up que vous accompagnez font largement appel aux technologies les plus innovantes, comme l’IA, la réalité virtuelle et augmentée, les drones, les capteurs et objets connectés. Est-ce une volonté d’avoir ce panel hétéroclite ?

On ne cherche pas des entreprises qui innovent pour innover : l’objectif est de répondre à un besoin opérationnel et/ou industriel pour les forces armées et de sécurité. Idéalement, nous voulons des solutions à moitié « hardware » (matériel), à moitié « software » (logiciel). Et à 50/50 entre les secteurs de la sécurité et de la défense. Cette diversification est volontairement recherchée, nous veillons à ce que toutes les technologies actuelles et futures soient représentées.

Vous couvrez de nombreuses thématiques qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Cela peut concerner la nutrition, l’habillement, le cryptage des communications, les robots, la lutte contre la contrefaçon, la fraude documentaire, et même un détecteur de mensonges !

C’est totalement voulu ! Aujourd’hui, la nutrition n’est peut-être pas le plus sexy des sujets. Mais un soldat a beau avoir des équipements qui voient à travers les murs, s’il a mal mangé et donc pas la force se mouvoir, la technologie ne servira à rien ! De la même façon, s’il n’a pas un textile qui s’adapte aux conditions extrêmes, il ne sera pas capable de bien remplir sa mission.

On souhaite cette complémentarité avec des technologies très poussées comme l’IA ou la Cyber. Nous accompagnons par exemple une entreprise qui fait du camouflage. Le dirigeant est un ancien opérationnel avec un côté artistique indéniable. Il a travaillé 25 ans dans l’armée, il connaît le besoin opérationnel. Sa plus-value, c’est sa manière innovante de créer du camouflage avec très peu de technologie. Il ne met ni IA ni cyber. En revanche, il a une vision différente de ce qui existe dans l’écosystème traditionnel, sur les motifs, les matières, les bonnes teintes en fonction des environnements…

Nous entretenons cette diversité d’entreprises qui fait la richesse du réseau.

François Mattens

Nous entretenons cette diversité qui fait la richesse du réseau. Nous avons aussi bien un patron de start-up ancien militaire, qu’une jeune pousse dirigée par une femme de 23 ans passée par HEC, et une autre, encore, dirigée par un ancien vice-président de Thales qui est parti au bout de 20 ans pour monter son entreprise. Ces trois personnes sont au même niveau de développement, mais elles ont des profils de vie qui n’ont rien à voir !

GENERATE se définit comme un accélérateur. Quelle différence faites-vous avec un incubateur ?

Contrairement à un incubateur, nous ne logeons pas les start-up et ne les accompagnons pas sur le volet business plan. La grande différence aussi avec un incubateur, c’est qu’il n’y a pas de rapport financier, on ne prendra pas de participation sur leur chiffre d’affaires. Nos start-up payent seulement une cotisation annuelle « anecdotique ». Et d’ailleurs, le programme GENERATE fonctionne grâce aux cotisations des membres du GICAT !

Notre rôle est d’aider à mettre un pied dans le secteur de la défense et de la sécurité. On ouvre notre réseau, on facilite, on donne accès à notre carnet d’adresses de partenaires qualitatifs en fonction des besoins : cabinets d’avocats, consultants spécialisés en investissement pour les levées de fonds ou les subventions, agences pour le plan de communication, etc. Notre objectif premier est de leur faire gagner du temps.

Comment se décline l’accompagnement de GENERATE ?

Notre durée d’accélération s’élève à deux ans, renouvelable un an au maximum. Il existe ensuite un GENERATE Alumni pour continuer à avoir un accès privilégié à nos événements et à notre réseau.

Outre l’ouverture de notre réseau et les mises en relation, une fois par trimestre, nous réunissons toutes nos start-up (dont 2/3 sont en dehors de Paris) pour une journée de boot camp. Elles se retrouvent sur de nombreux sujets : business, financement, contrats… Et assistent à plusieurs présentations avec des interlocuteurs de haut niveau. Il peut également y avoir, au cours de l’année, des rencontres et conférences sur des thématiques spécifiques. Une start-up qui intègre GENERATE a accès à tous les services du GICAT, au même titre qu’un Thales ou un Airbus ! Par exemple : des rendez-vous privilégiés avec des acteurs du marché, des études de marché réalisées sur certains pays et dans certaines zones stratégiques.

Vous enregistrez également déjà 40 % de chiffre d’affaires à l’export par des pépites qui affichent de belles réussites à l’étranger…

En effet, je pense à Preligens qui a remporté de très beaux contrats outre-Atlantique et outre-Manche. La start-up travaille sur le sujet de la géointelligence : l’analyse d’images satellitaires par intelligence artificielle. En automatisant l’analyse de milliers d’images provenant de satellites, elle détecte en temps réel un avion russe ou un sous-marin chinois…

Dans le secteur de la sécurité, nous avons accompagné l’entreprise CerbAir qui œuvre dans la lutte anti-drones. Ils ont remporté, il y a deux ans, un très important contrat pour sécuriser les bases de l’armée de l’air colombienne. Ils travaillent également avec le RAID, ils ont par exemple sécurisé le sommet du G7 à Biarritz en 2019.

Désormais, de nombreuses start-up viennent directement à vous, comment réalisez-vous la sélection ?

Les dix premiers mois de GENERATE, nous allions sur Internet et dans les salons… On a constitué ainsi nos deux premières promotions en allant les chercher ! Depuis, le bouche-à-oreille entre start-up fonctionne à plein. Les armées et les forces de sécurité ont aussi des start-up qui les intéressent, et qu’elles nous recommandent. Cela les rassure que ces start-up soient accompagnées par GENERATE.

Nous organisons deux à trois jurys par an, sans aucun quota sur le nombre de start-up que nous accompagnerons. Il y a une vraie sélectivité : je déclenche un jury si j’estime que j’ai suffisamment d’entreprises qui répondent à nos critères. Et parfois, nous n’en sélectionnons qu’une ou deux ! Mais il est clair qu’aujourd’hui, avec notre notoriété et notre crédibilité, nous atteignons une limite dans le nombre de start-up que nous pouvons accompagner.

François Mattens

Directeur des affaires publiques et de l’innovation du GICAT – Cofondateur de l'accélérateur de start-up GENERATE

François Mattens enseigne aux universités Panthéon-Sorbonne, Paris-Dauphine PSL et à Sciences Po Paris. Diplômé de la MIT Sloan School of Management, il a commencé sa carrière dans différentes administrations régaliennes et auprès de responsables politiques. Il est aussi sociétaire et membre du conseil d’administration de la Société des explorateurs français.

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