L’enlèvement de deux ressortissants français au Bénin en mai 2019 – dans une zone jugée dangereuse – nous ramène à la question de la catégorisation des risques pays. Pour Lilian LAUGERAT – expert en gestion des risques sûreté –  il est temps de dépasser le traditionnel code couleur attribué aux pays en fonction de leur dangerosité.

Le 10 mai 2019, deux soldats français des forces spéciales ont perdu la vie en libérant quatre otages – dont deux Français – au Burkina Faso. Ces deux Français avaient été enlevés le 1er mai au Bénin, lors d’un safari dans le parc de la Pendjari, à la frontière burkinabaise. La vive émotion nationale suscitée par le sacrifice des soldats, a laissé place un instant à une polémique portant sur la présence des ressortissants français dans une zone dite à risques. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait en effet déclaré le 11 mai sur Europe 1 que “la zone où étaient nos compatriotes était considérée […] comme une zone rouge, c’est-à-dire une zone où il ne faut pas aller, où on prend des risques majeurs en allant”. Ce cas, parmi tant d’autres, nous ramène inéluctablement aux fondamentaux de la sûreté.  À quoi correspond vraiment une “zone rouge” ? Quelle est l’attractivité des ressortissants français à l’étranger et comment définir une zone à risque ? C’est ce que Lilian LAUGERAT – expert en gestion des risques sûreté – s’attache à décrypter dans cet article.

La catégorisation des zones à risques, un exercice difficile

L’être humain, dans sa perception des risques, est amené à prendre des décisions selon deux critères. Le premier critère est l’apprentissage. En d’autres mots, il y a moins de probabilité de se mettre dans une situation à risque si celle-ci a déjà été vécue. Toutefois, l’erreur souvent commise est de considérer que si un scénario – vol, enlèvement, attentat, etc. – ne s’est jamais déroulé dans une zone, il n’a aucune chance de se dérouler dans le futur. Or, un acte malveillant se caractérise justement par son imprévision.

Le deuxième critère de décision est la recommandation ou l’interdiction de se rendre dans certaines zones. Cette recommandation émane généralement des autorités et dans certains cas, de cabinets spécialisés. S’il n’existe pas de réelles normes en vigueur, la logique actuelle consiste à attribuer un code couleur à un pays en fonction de sa dangerosité. En France, le ministère des Affaires étrangères met régulièrement à jour ces informations sur le site France Diplomatie. La couleur rouge est utilisée pour les pays “formellement déconseillés”, le orange pour les pays “déconseillés sauf raison impérative”, le jaune signifie qu’il faut se rendre dans le pays avec une “vigilance renforcée”, et le vert avec une “vigilance normale”.

Bien qu’indispensable, cette démarche montre à terme certaines limites. À la fois dans la justesse et l’amplitude de l’analyse des zones à risques, mais aussi dans son interprétation par des utilisateurs ne possédant pas nécessairement de culture des risques sûreté.

Alors, comment évaluer le plus justement possible la nature des risques dans une zone définie ? La vraie question est en fait de savoir si la valeur d’une personne ou une entreprise dans cette zone, aux yeux des malfaiteurs, peut potentiellement engendrer des scénarios de malveillance.

La vraie question est en fait de savoir si la valeur d’une personne ou une entreprise dans cette zone, aux yeux des malfaiteurs, peut potentiellement engendrer des scénarios de malveillance.

Dépasser la classification par couleurs

La dynamique de la malveillance nous montre que tous les auteurs n’ont pas obligatoirement les mêmes objectifs et ne visent pas les mêmes cibles. C’est pourquoi, au-delà des niveaux de couleurs utilisés, il devient nécessaire de parler de scénarios de malveillance et d’attractivité des cibles.

Qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’une personne, l’attractivité se définit par tout ce que l’on est, représente, et génère et qui peut entrer dans les objectifs des auteurs d’actes de malveillance. En effet, ces auteurs ne peuvent exister ou apparaître que si des éléments de contexte leur sont favorables : situation politique, économique, sociale, criminelle et terroriste.

Ainsi, le niveau de couleur attribué à un pays devrait correspondre aux scénarios malveillants possibles et à l’attractivité des cibles visées.

Ainsi, le niveau de couleur attribué à un pays devrait correspondre aux scénarios malveillants possibles et à l’attractivité des cibles visées. À titre d’exemple, nous savons que les ressortissants français sont des cibles privilégiées au Sahel, en Afrique, et que le scénario numéro un est le kidnapping avec demande de rançon.

Instaurer une culture sûreté

Au-delà de la nécessité de revoir la catégorisation des zones à risques, il devient de plus en plus clair que le manque de culture sûreté est un facteur qui augmente significativement la mise en danger des personnes. Le quotidien nous montre que les entreprises qui forment ou ont formé leurs collaborateurs aux comportements sûreté dans les pays à risques, ont réduit de manière très importante leur exposition aux scénarios de malveillance, allant de la simple agression à l’acte terroriste.

La question de la sensibilisation est donc posée. Faut-il attendre le déroulement d’un événement malveillant pour sensibiliser la population aux risques sûreté et aux comportements à adopter pour éviter de s’exposer ? Il convient d’expliquer à toutes les personnes qui seraient amenées à se déplacer pour des raisons professionnelles ou personnelles que le niveau de risques auquel elles sont confrontées ne se limitent pas à un code couleur. Il est avant tout caractérisé par ce que nous représentons dans un contexte donné.

Il convient d’expliquer à toutes les personnes qui seraient amenées à se déplacer pour des raisons professionnelles ou personnelles que le niveau de risques auquel elles sont confrontées ne se limitent pas à un code couleur. Il est avant tout caractérisé par ce que nous représentons dans un contexte donné.

Les experts en analyse des risques sûreté vous le diront : il est très difficile aujourd’hui de définir ce qui caractérise un pays à risques. Tout autour de nous existent des zones où les risques sont plus importants et où notre exposition à la malveillance est supérieure à la normalité quotidienne. Donner des recommandations est un premier pas. Savoir les comprendre et les intégrer dans ses actions en est un autre. Que ce soit sur notre territoire ou lors de déplacements à l’étranger, il convient en complément des analyses de risques, d’adopter des comportements adéquats pour éviter de se retrouver face à un acte de malveillance dont certaines conséquences peuvent être tragiques.

Photo by Martin Sanchez on Unsplash

Lilian Laugerat

Président de Solace

Lilian LAUGERAT dirige le cabinet de conseils SOLACE spécialisé dans l'analyse des risques sûreté et la posture de gestion de crise.

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