Après les bilans, l’heure est aux prévisions annuelles pour le secteur de la sécurité privée en France. À quoi va ressembler l’année 2020 pour ses acteurs ? Marché, organisation, technologies, recrutement… le point sur les grands défis à venir.

1. La concentration du secteur se poursuit

Le marché de la sécurité privée poursuit sa concentration autour de grands acteurs phares. En 2019 par exemple, Goron rachetait le spécialiste de la sécurité électronique A2SI. Un phénomène de concentration qui se confirme d’ailleurs dans les derniers chiffres de l’Observatoire des métiers de la prévention et de la sécurité. Selon ce baromètre annuel, sur les 3 500 entreprises recensées en France, les 39 plus grandes entités emploient, à elles seules, près de la moitié des salariés du secteur.

Même constat du côté des entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD). « Une chose est certaine : la mutation entamée va se poursuivre. Ce mouvement pourrait déboucher sur une hyperconcentration et la constitution d’une ou deux grandes ESSD françaises dotées d’une surface financière et opérationnelle suffisante pour affronter leurs concurrents étrangers », anticipe Georges-Henri Martin-Bricet, directeur du développement de l’Ecole supérieure de la sûreté des entreprises (ESSE).

Enfin, en 2020, d’aucuns présage la naissance d’un futur géant de la sûreté autour de l’alliance entre les trois spécialistes Anticip, CEIS et Risk&Co. « Il pourra y avoir une conséquence capitalistique à cette alliance, à un moment donné », confessaient ainsi Richard Terzan et Guillaume Tissier, présidents respectifs d’Anticip et de CEIS au journal Les Echos.

« Ce mouvement pourrait déboucher sur une hyperconcentration et la constitution d’une ou deux grandes entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD).»

2. La création d’une véritable filière économique

Au-delà du phénomène de concentration, les acteurs de la sécurité semblent vouloir se rapprocher pour mieux travailler ensemble, et notamment avec l’État. C’est tout le sens du comité stratégique de filière (CSF) “Industrie de sécurité” créé fin 2018 par le ministre de l’Economie, Bruno Lemaire. Présidé par Marc Darmon, directeur général adjoint de Thales, ce CSF doit concevoir, avec le gouvernement, un contrat stratégique de filière, dans le courant de l’année 2020. Il s’agira alors de la 18e filière économique reconnue par le gouvernement, après celles de l’eau, du bois, de l’aéronautique, etc. L’objectif : fédérer tous les acteurs, publics et privés, autour d’ambitions communes. Et en tête de ces ambitions figure le continuum de sécurité entre les forces publiques et les entreprises de sécurité privée

3. La vidéoprotection à la recherche du temps réel

Ce continuum de sécurité devient particulièrement important dans le cadre de la vidéoprotection. Avec la menace terroriste qui ne faiblit pas, la communication fluide des informations et des images entre les entreprises de télésurveillance et les équipes de renseignements revêt une importance cruciale, comme en témoigne Dominique Legrand, président de l’Association nationale de vidéoprotection (AN2V). « Nous devons passer d’une recherche différée – où l’on enquête après les faits, à partir des images enregistrées des caméras –, à une recherche en temps réel pour contrer immédiatement les terroristes et limiter leurs victimes. »

Pour y parvenir, les entreprises de vidéoprotection devront toutefois surmonter un obstacle de taille en 2020 : la réglementation actuelle. « Aujourd’hui, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) se base sur une loi de 1978 ! Par exemple, si un terroriste est recherché, et son visage diffusé publiquement sur BFMTV, il n’est juridiquement pas possible de l’identifier via les caméras de vidéoprotection. Nous avons pourtant toutes les technologies qui le permettent », explique Dominique Legrand. En 2020, l’AN2V entend donc s’emparer de ce défi pour faire bouger les lignes.

4. La cybersécurité face au défi de la 5G

Qui dit nouvelle technologie, dit nouveaux cyber-risques. Et l’arrivée du réseau 5G (déjà déployée en Chine, aux États-Unis et en Angleterre notamment), ne fait pas exception. Plus puissant, ce système ouvre la porte à de nouveaux usages, comme le pilotage à distance d’une flotte de voitures, de casques de réalité augmentée en mobilité, voire d’usines entières. Une perspective qui inquiète d’ores et déjà les spécialistes. En octobre dernier, l’informaticien Olav Lysne déclarait : « la 5G est l’infrastructure la plus critique jamais créée en matière de cybersécurité. »

Pourquoi un tel cri d’alarme ? La réponse en un mot : la virtualisation. Pour faire simple, la 5G inaugure une nouvelle façon d’envisager les réseaux télécoms. Jusqu’à la 4G, les signaux passent par des « coeurs de réseaux », des équipements physiques gérés par les opérateurs télécoms. Avec la virtualisation, le réseau est désormais géré via des logiciels cloud, avec des « tranches » de réseaux selon les usages (smartphones, télémédecine, transport, industrie, etc.). En sommes, la 5G démultiplie les logiciels et les portes d’entrée pour les hackers. Le défi 2020 pour les acteurs de la cybersécurité consistera donc à protéger ces nouveaux logiciels, ces nouvelles portes d’entrée et les nouveaux actifs qui se retrouveront connectés en 5G comme les voitures ou les équipements industriels.

« La 5G est l’infrastructure la plus critique jamais créée en matière de cybersécurité. »

5. Les nouveaux enjeux du recrutement 

Si la technologie pose de nouveaux défis, l’humain aussi occupera les esprits des décideurs du secteur. En cause : un vieillissement inéluctable des salariés de la sécurité privée et une difficulté à recruter des jeunes talents, comme le confirme le dernier Observatoire des métiers de la prévention et de la sécurité. Selon lui, l’âge moyen des collaborateurs se hisse au dessus de la barre des 40 ans en 2019, alors qu’il était de 37 ans, il y a dix ans. En parallèle, seuls 14 % des embauchés l’an passé avaient moins de 26 ans. Ils étaient 23 %, dix ans auparavant. Ce double phénomène oblige les entreprises de sécurité privée à revoir leur politique de recrutement. Le risque ? Ne plus être en mesure de remplacer les départs à la retraite. 

C’est la raison pour laquelle les initiatives se multiplient pour recruter de nouveaux profils. Alors que le Pôle Emploi organise des rencontres partout en France pour séduire des jeunes candidats, d’autres entendent favoriser la féminisation du secteur. C’est par exemple le cas du Club des Femmes dans la Sécurité Sûreté et le Numérique. En effet, nul doute que le secteur devra redoubler d’efforts sur ce sujet en 2020, alors que les femmes ne représentent que 7 % des effectifs.

6. La sécurité événementielle sur toutes les lèvres

Coupe du monde de rugby en 2023, Jeux olympiques l’année suivante… les grands rendez-vous sportifs sont déjà sur toutes les lèvres des acteurs de la sécurité privée en France. Et pour cause : jusqu’à 30 000 nouveaux agents pourraient être nécessaires pour sécuriser les seuls JO, selon son comité d’organisation. « Cela ne me semble pas réalisable à ce stade », déclarait fatalement Frédéric Gauthey, président du Groupement des entreprises de sécurité (GES) lors d’une table ronde relatée par Ouest France. L’expert pointe du doigt les salaires qui doivent être revalorisés pour attirer de nouveaux profils que le secteur n’arrive déjà pas à recruter en temps normal. « Il faut que nous puissions monter en gamme en revalorisant les rémunérations mais aussi les formations. Tout cela a un coût. Il faut arrêter la spirale descendante des prix (…) Le secteur de la sécurité privée doit se réformer et l’État doit jouer son rôle en assurant une meilleure régulation », ajoutait ainsi Frédéric Gauthey. Le grand enjeu de 2020 consistera donc à résoudre ce casse-tête des prix et du recrutement en vue des grands événements à venir. Sous peine de devoir chercher de la  main d’œuvre ailleurs.

Jusqu’à 30 000 nouveaux agents pourraient être nécessaires pour sécuriser les Jeux olympiques, selon son comité d’organisation

7. La direction sécurité/sûreté endosse de nouvelles responsabilités

L’intelligence artificielle (IA) aura été le maître-mot de 2019. Non sans raison quand on voit le potentiel de cette technologie pour la sécurité et la cybersécurité. Après le temps du buzzword, vient celui de la concrétisation. En 2020, les spécialistes imaginent déjà de premiers projets d’envergure pour mettre en place des algorithmes d’IA au sein des directions sécurité/sûreté. Dès lors c’est tout le rôle de cette direction qui poursuit sa transformation : il ne s’agit plus d’être un « simple » expert de la gestion de crise mais de devenir un acteur global de la sécurité au sein de l’entreprise. Un acteur capable de traiter une crise de notoriété comme de paramétrer des algorithmes ; d’encadrer un partenaire comme de connaître les dernières réglementations du domaine. Un véritable couteau suisse de la sécurité. 

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