Après une escale aux États-Unis, Rendre notre monde + sûr poursuit son tour du monde, de l’autre côté du globe. Direction l’Inde, où le secteur de la sécurité privée connaît une croissance phénoménale. À tel point qu’il est aujourd’hui le deuxième secteur le plus important du pays en matière d’emploi, avec pas moins de 9 millions d’agents de sécurité en exercice. Focus sur un pays où l’État délègue, sans pour autant lâcher ses prérogatives régaliennes, et où la crise sanitaire due au Covid-19 dessine un nouvel avenir pour le secteur de la sécurité privée.

Le deuxième secteur du pays

20 % de croissance annuelle sur les 10 dernières années, selon la Fédération des chambres de commerce et d’industrie d’Inde (FICCI). Le chiffre d’affaires du marché de la sécurité privée en Inde a de quoi faire des envieux. Il illustre à quel point le secteur a pris une place considérable sur le sous-continent ces dernières années. Il s’agit du deuxième secteur le plus important du pays en matière d’emplois, juste après l’agriculture. 

Près de 9 millions d’Indiens et d’Indiennes travaillent pour la sécurité privée. Et, les estimations de la FICCI en prévoient jusqu’à 3 millions de plus d’ici 2022. Résultat : à l’heure actuelle, l’Inde compte cinq fois plus d’agents de sécurité privée que de policiers. C’est le ratio le plus important du monde. Pour comparaison, les États-Unis dénombrent 35 % d’agents privés de plus que de policiers. En France, les proportions sont inverses, puisqu’il y a 38 % de policiers et gendarmes de plus que d’agents de sécurité privée.

De tels chiffres attisent l’intérêt des spécialistes du secteur. Lors d’un récent événement digital, Rituraj Sinha, directeur de la société SIS Group Enterprises, affirmait ainsi que “L’Inde est véritablement l’un des pays les plus intéressants au monde pour la sécurité privée”. Et les grands groupes internationaux se bousculent au portillon : G4S et Securitas, par exemple, ont ouvert de puissantes filiales locales. 

Une croissance poussée par une police absente

Alors, comment expliquer un tel boom de la sécurité privée au pays de Gandhi ? En grande partie par la quasi-absence des forces de l’ordre. L’Inde compte, en effet, 198 policiers pour 100 000 habitants. Pour comparaison, ce chiffre est de 429 en France par exemple. 

De surcroît, ces policiers manquent cruellement de moyens pour exercer leurs missions. Les dernières statistiques du Bureau of Police Research and Development en 2020 font ainsi état de 257 commissariats sans le moindre véhicule à disposition. 143 centres n’ont même pas de système de communication à distance pour les policiers sur le terrain. 

Or, en face, les besoins en sécurité du pays explosent depuis quelques années. Avec une croissance du PIB (produit intérieur brut) de 7 % ces dernières années (hors 2020), le pays construit à tout-va. Depuis le début des années 2000, par exemple, plus de 650 centres commerciaux ont vu le jour dans les grandes métropoles du sous-continent. 

Avec 7 % de croissance du PIB, l’Inde s’urbanise massivement, comme ici à Mumbai.

Une urbanisation croissante et une police quasi absente : voilà la clé de l’essor de la sécurité privée en Inde. Objectif :  protéger les nouveaux centres commerciaux, les bureaux, et les résidences privées qui éclosent un peu partout dans le pays. “Avec un ratio de policiers par habitant toujours plus bas, le secteur de la sécurité privée et sa main-d’œuvre colossale peuvent venir en aide aux forces de l’ordre. Cela doit aider les policiers à se spécialiser sur leur cœur de métier et à laisser les missions moins critiques au privé” résume ainsi Dilip Chenoy, le secrétaire général de la FICCI, dans le dernier rapport de la branche. Le principe est clair : laisser à la police les grandes missions régaliennes (investigations, arrestations, etc.) et confier au privé le reste (prévention, dissuasion, observation, etc.). 

Le gouvernement garde une mainmise sur la sécurité privée

Une doctrine largement partagée par le gouvernement indien, qui encadre très fortement le secteur. Ainsi, malgré leur importance en nombre, les agents de sécurité privée n’ont pas de prérogatives cruciales, comme c’est le cas aux États-Unis, par exemple. Ils ne peuvent ni détenir ni arrêter de suspects, même en attendant l’arrivée de la police. Ils ne peuvent pas non plus arborer des uniformes proches de ceux de la police ou de l’armée. En revanche, ils ont l’obligation de porter une arme pour certaines missions, comme le transport de fonds ou encore la protection des bijouteries, des stations essence, des banques et des hôtels. 

Le gouvernement est notre partenaire pour la gestion de la sécurité privée, sans investir d’argent.

Kunwar Vikram Singh, membre de l’Association centrale du secteur de la sécurité privée

De même, le Private Security Act, établi en 2005, fixe des règles très strictes en matière de recrutement des agents. Ces derniers doivent détenir la nationalité indienne, avoir entre 18 et 65 ans, et ils ne doivent pas avoir fait l’objet de poursuites judiciaires, ni avoir été démis de leurs fonctions dans les armées ou la police. Le texte de loi prévoit également que les entreprises de sécurité privée privilégient les profils issus de l’armée et de la police dans leur recrutement. Enfin, les agents doivent suivre une formation et se soumettre à une enquête sur leurs antécédents. “Le gouvernement est notre partenaire pour la gestion de la sécurité privée, sans investir d’argent. Et cela fonctionne très bien ainsi”, résume Kunwar Vikram Singh, de l’Association centrale du secteur de la sécurité privée. En un mot, les autorités délèguent tout en restant omniprésentes. En tous cas, sur le papier.

Un secteur encadré, mais en quête d’organisation

Car le secteur indien de la sécurité privée – malgré sa régulation très forte – cache un problème majeur : le manque cruel de conformité et d’organisation. La FICCI estime ainsi qu’à peine 20 % des nouvelles recrues du secteur chaque année ont suivi les formations réglementaires ! En 2020, l’organisme évalue même à 50 % la part des entreprises de la sécurité privée entièrement conformes et organisées. 

La professionnalisation et la montée en compétence sont les principaux défis auxquels le secteur fait face.

Dilip Chenoy, secrétaire général de la FICCI

Pour les spécialistes du secteur, le défi est donc, avant tout, humain. “La professionnalisation et la montée en compétence sont les principaux défis auxquels le secteur fait face. Investir dans le capital humain est donc vital pour préparer le privé à endosser de nouvelles missions à l’avenir”, expliquait Dilip Chenoy, de la FICCI, en 2019. En somme, le secteur doit se professionnaliser s’il veut prendre en charge des missions plus importantes dans un futur proche. 

Quand le Covid-19 force le secteur à se professionnaliser

Cette professionnalisation semble avoir été accélérée avec la pandémie de coronavirus, non sans faire de perdants. Ainsi, avec le premier confinement indien à la fin mars 2020 et la fermeture de certains magasins, hôtels, etc., de très nombreux agents de sécurité privée se sont retrouvés sans emploi. Souvent émigrés d’une autre province indienne et employés sans contrat par des entreprises peu scrupuleuses, ces travailleurs précaires sont alors retournés dans leur foyer d’origine. En revanche, les effectifs des entreprises respectueuses de la loi sont restés les mêmes, puisque les contrats des agents ne permettaient pas de les licencier du jour au lendemain. 

La crise du coronavirus redessine les lignes de la sécurité privée en Inde.

La demande a, par ailleurs, évolué avec la pandémie. En 2019, les principaux clients de la sécurité privée en Inde restaient les magasins, les cinémas, les hôtels, etc. Depuis 2020, avec la fermeture de ces lieux et les nouveaux risques liés à la crise, la sécurité privée doit désormais accompagner des clients plus exigeants, notamment les grandes entreprises. Ces dernières ont besoin davantage d’agents pour contrôler la température des visiteurs à l’entrée de leurs bureaux, par exemple. Plus soucieux du respect de la réglementation et prêts à payer plus cher, ces nouveaux clients redessinent les lignes de la sécurité privée en Inde en faisant la part belle aux entreprises plus solides. Une nouvelle conséquence inattendue de la crise sanitaire actuelle.

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