À la recherche de nouvelles technologies, les villes font désormais appel à des start-up et à leurs dispositifs innovants en termes de sécurité et de sûreté, afin de maîtriser les menaces et de prévenir certains risques. De Cleveland aux États-Unis, à Orléans et la région Sud en France, les communes expérimentent un dispositif sonore capable de détecter des bruits inhabituels dans l’espace public. Cette technologie doit alerter la police en cas d’anomalies sonores, ce qui lui permettrait d’intervenir plus rapidement. Face au développement de ces expérimentations, comment poser les limites d’un tel dispositif ?

Un nouveau dispositif de détecteurs sonores 

Depuis 2019, la France expérimente une nouvelle technologie : un dispositif de détecteurs sonores qui s’installent sur les caméras de vidéosurveillance. Ce système d’écoute a pour but d’améliorer la sécurité et la sûreté des villes en envoyant des alertes à la police en cas de bruits inhabituels (coup de feu, vitre brisée, cris, etc.). Récemment, c’est la ville d’Orléans, en région Centre-Val de Loire, qui a fait appel à la start-up orléanaise Sensivic pour tester ses détecteurs.

Les détecteurs Sensivic sont des boîtiers à associer aux caméras de vidéosurveillance. Une intelligence artificielle analyse le paysage sonore de la ville, et repère les bruits suspects. Lors d’un son alarmant, les boîtiers permettent aux caméras de s’orienter vers le bruit, et une alerte est envoyée en direct à la police ou au centre de sécurité. Ainsi, les agents de sécurité peuvent voir la scène en direct, et estimer si une intervention est nécessaire ou non. 

En France, il est interdit d’enregistrer des conversations dans la rue. La start-up Sensivic assure que ce dispositif de surveillance sonore n’enregistre et ne transfère pas les sons au CSU (centre de supervision urbain). Ce dernier envoie seulement des alertes, les agents de sécurité n’entendent donc pas les bruits suspects. Les sons sont analysés mais non enregistrés, dans le respect de la vie privée. 

Remplacer les appels d’urgence ? 

Le but de ce système est d’améliorer la sûreté et l’efficacité des systèmes de vidéosurveillance. Le dispositif doit pouvoir être utile aux interventions policières : c’est un outil d’aide à la décision. Les agents sont alors en mesure d’identifier où a eu lieu l’incident, et d’envoyer une équipe. 

Un autre avantage au dispositif de surveillance sonore est celui de ne pas avoir à contacter la police. En effet, dans la ville de Cleveland, aux États-Unis, une technologie similaire est utilisée par la police. Il s’agit d’un système de détection d’armes à feu de l’entreprise ShotSpotter. Cette technologie permet de détecter les potentiels coups de feu se produisant au sein d’une ville, et d’indiquer leur localisation. Certains habitants de Cleveland rapportaient qu’ils craignaient des représailles des criminels en prévenant la police, ou même de ne pas avoir de réponses de la part de la police. Avec les détecteurs sonores, ces problèmes ne se posent plus. 

Des villes expérimentales 

Dans plusieurs villes des États-Unis, dont Cleveland, la technologie de détection d’armes à feu de ShotSpoter est utilisée. Elle semble être une véritable aide pour la police qui, grâce aux capteurs placés sur des lampadaires ou des bâtiments, connaît l’heure et le lieu des tirs. Les policiers peuvent alors intervenir sur les lieux exacts des événements, rapidement après qu’ils se produisent.

Image d'une rue d'Orléans avec vue sur la cathédrale
À Orléans, on teste un dispositif innovant pour écouter la ville.

En France, les dispositifs comme celui des boîtiers Sensivic sont expérimentés dans les villes. La technologie sonore de Sensivic a déjà été utilisée en région Sud où, depuis 2014, 10 communes ont intégré la détection d’événements sonores dans leurs systèmes de vidéoprotection. En ce moment, les détecteurs de sons anormaux sont testés à Orléans. Sur les 220 caméras de la ville utilisées par la police municipale, seulement 4 sont dotées du système de détecteurs de son. Il faudra encore attendre quelque temps pour connaître les résultats de cette expérimentation.

Une IA sûr à 100 % ?  

Les promesses de cette nouvelle technologie de détection sonore semblent nombreuses pour la sécurité et la sûreté. Mais entre fausses alertes, non-respect de la vie privée, législation ou encore abus, ces nouvelles technologies connaissent aussi leurs limites. 

En 2019, la ville de Saint-Étienne avait dû renoncer à tester le dispositif de capteurs sonores avec des micros pour renforcer la sécurité du quartier de Beaubrun-Tarentaize. La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) s’était opposée à cette mise en place par manque de cadre législatif, car cela constituait un traitement illicite de données à caractère personnel. 

De son côté, la détection sonore de Sensivic fonctionne, dans le respect de la vie privée, puisque rien n’est enregistré. Toutefois, l’utilisation d’une intelligence artificielle soulève d’autres questions : qu’en est-il de sa fiabilité ? Comment traiter les potentielles fausses alertes ? Des questions qui ne pourront être résolues qu’à la suite d’expérimentations, comme avec la ville d’Orléans. 

Enfin, il faut savoir que la technologie de ShotSpotter, aux États-Unis, connaît quelques problèmes algorithmiques. La société a généré plusieurs mauvaises alertes. En mai dernier, lors d’un meurtre, l’algorithme de ShotSpotter a généré un mauvais emplacement, après avoir catégorisé le coup de feu comme le son d’un “feu d’artifice”. Si les capteurs sonores détectent et classent la nature des sons (feu d’artifice, arme à feu…), ces informations sont toujours vérifiées par une oreille humaine. Les personnes qui écoutent les sons peuvent alors reclassifier manuellement la nature des bruits suspects, ce qui remet en cause la fiabilité de ce système. 

Ces nouvelles start-up ont un objectif : améliorer l’efficacité des systèmes de vidéosurveillance, en couplant les caméras avec des détecteurs de sons qui alerteraient la police sur des bruits suspects. Mais les détecteurs d’analyse du paysage sonore devront être davantage expérimentés avant d’être intégrés dans nos villes. 

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